L’ÉTÉ PHOTOGRAPHIQUE DE LECTOURE 2008

Dominant la vallée du Gers, Lectoure est non seulement un village des plus typiques et agréables pour passer un été dans une région des plus douces à vivre, mais aussi l’un des quatre lieux en France qui accueille dans ses murs fortifiés, un centre de photographie actif et aujourd’hui largement reconnu par le monde de la photographie mais aussi celui des arts visuels.

En effet, c’est autour de problématiques ouvertes et croisées que l’été, François Saint Pierre, son directeur, propose un ensemble d’expositions photographiques et filmiques disséminées dans plusieurs lieux de la petite ville aux ruelles serpentines et aux monuments toujours empreints de leur passé historique, celui, entre autres, des comtes d’Armagnac mais aussi de la culture du pastel chère aux tanneurs et aux peintres.
Cet été donc 2008, c’est autour de l’urbain contemporain, que nous avons pu revisiter ces lieux et retrouver des photographes et vidéastes déjà reconnus comme Paul Pouvreau, Serge Clément, Mark Lewis… mais aussi ceux qui ayant reçu commande et soutien du centre comme Stanislas Amand, ou d’autres plus jeunes tels Guillaume Beinat, croisant photographie et cinéma comme Cédric Eymenier, ou travaillant à l’étranger telles que l’américaine Zoe Strauss ou l’allemande Stéphanie Kiwitt.

C’est dans les étages et au rez-de-chaussée du centre de photographie de Lectoure que « l’artiste » phare de la manifestation 2008, Paul Pouvreau, a pu déployer un large pan de son travail sur deux des signes urbains souvent passés inaperçus : le logo des cartons d’emballage et le sachet plastique coloré, autre symbole familier de nos habitudes de consommateur. Dérision mais surtout fragilité de ces écritures graphiques ou sculptures aléatoires qui deviennent les sujets et les outils du photographe mais aussi du sculpteur et du vidéaste : La vidéo La cabane (2004) en est une magnifique pièce allégorique : mur de cartons empilés qui au fil de la lumière et de l’eau se désagrège lentement, le temps de laisser deviner sa construction éphémère en proie aux aléas du temps, non seulement météorologique mais surtout économique : ce temps boulimique qui transforme aussitôt en déchet ce qui vient d’être juste acheté et déballé.

Autre traitement du quotidien urbain par Cédric Eymentier qui, dans les locaux réhabilités de l’école Jean-François Bladé, propose un ensemble de « portraits » assez esthétiques il faut le reconnaître, de ce qui achoppe l’œil lors de la déambulation attentive de la ville. Reflets de vitrine ou de carrosserie d’automobiles, rideaux de fenêtres dégageant une végétation d’intérieur… et pour mieux nous sensibiliser à ce que l’on a pu tous voir sans jamais avoir eu l’intention d’en laisser trace, une vidéo fort bucolique d’oiseaux découvrant dans le reflet d’un vieux rétroviseur leur bec en train de picorer l’écorce d’un arbre encore là ! (Friedlander, certes !).

Autre capture du flux urbain londonien dans une lumière aveuglante, le film Rush Hour, Morning & Evening, Cheapside (2005) de Mark Lewis. Encore une dimension picturale dans ces images engrangées de manière radicale par une caméra au point fixe mais aux angles de vue et à la profondeur de champ toujours changeants. La question ici des codes de l’image en mouvement est posée quant à sa capacité de rendre compte artistiquement de ce qui trop souvent s’arrête à une simple saisie du réel, en soi aussi insignifiant que bien des discours à leur sujet. Autres engagements émouvants autour du portrait, de la solitude, des conditions de vie que ceux, dans des esthétiques opposées, d’une part de Guillaume Beinat, à La Maison Saint-Louis, d’autre part de Zoe Strauss à la Halle aux grains. Le premier nous fait découvrir, sans ostentation ni apitoiement, l’intimité d’une jeune « urbaine » japonaise, réfugiée après son travail dans un minuscule studio où le désordre ne peut qu’être – les attributs pour nous dire la personne ? La seconde, Zoe Strauss, dresse, elle, frontalement, l’image déjà déclinée par nombre de grands photographes déjà… de ces minorités américaines en marge justement de ce qui fait la fortune des « urbains ». Photographie couleur dans les deux cas, où la pose est parfois de mise, mais jamais la mise en scène telle qu’elle est ouvertement revendiquée par Christophe Beauregard qui, lui, s’amuse à faire poser des comédiens à la façon des sans-abris qu’il a auparavant photographiés. Codes de la représentation revisités pour plus de réalité ? ou inversement ? mais si le photographe dit lui-même que « les mots ne servent plus à rendre compte de la réalité », il pourrait se souvenir, que la photographie, elle, ne nous dit rien sur le réel et que c’est justement les mots qui lui font dire presque « ce que l’on veut ». Alors , peut-être que c’est un juste retour des choses – chose que les littéraires et les cinéastes savent depuis longtemps : le réel dépasse toujours la fiction et aujourd’hui serait-il intéressant de voir que nombre de photographes qui disent s’intéresser précisément au réel, s’emploient justement à ne faire que de la mise en scène…

Paradoxe que l’on peut retrouver peut-être sous-jacent dans une part des lettres à une galeriste imaginée, que le photographe Stanislas Amand s’emploie à écrire et à illustrer depuis le début de son projet « Cheminements » (2006). Il en expose une de ses étapes, dans la petite salle de cette magnifique Cerisaie, cachée à l’angle de la rue de la Fontaine. Côte à côte, disposés presque comme des planches d’entomologistes sur des pupitres de bibliothèque, textes et images ont parfois quelques difficultés à se laisser percevoir ou lire dans une complicité recherchée. Si le lecteur-regardeur peut petit à petit se familiariser avec un work in progress, il est plus délicat pour lui de se convaincre d’une démarche hybride qui hésite encore entre l’esthétique du blog et celui du livre. Peut-être aurait-il été plus judicieux de rapprocher de cette série, l’autre série du photographe, qui elle se perd dans l’immensité d’un autre lieu, La Halle aux grains : série qui consiste à rassembler des photographies des années 70 puisées dans des albums de famille trouvés par le photographe lui-même. Intéressant alors de voir que ces « Archives photographiques des années 70 », sont faites essentiellement de polaroids aux couleurs délavées, identité technique mais aussi mode vestimentaire et attitudes corporelles, images publicitaires, objets de loisirs y tissent un pan de l’histoire dans lesquels certains se reconnaîtront déjà. L’urbain des années 70 n’est plus contemporain et ici quittons-nous à regret l’identité d’un urbain contemporain qui aurait pû s’ouvrir davantage à la question de l’environnement qui justement fait la différence pour les urbanistes, entre leur définition de la ville et celle de l’urbain…. C’est peut-être pour cela, que le travail de Stéphanie Kiwitt et notamment son livre « Corneville » (2008) est des plus intéressants. Encore aurait-il fallu que l’exposition de ces grandes photographies noir et blanc eut été « moins » mise en scène justement. En effet, si la photographe pointe avec originalité et justesse ce qui signe une des caractéristiques de cet urbain contemporain : l’éphémère de ses petites « installations » de bois, de cartons, que l’on trouve au quotidien dans nos villes, le caractère résolument instable de ces « architectures » urbaines, il n’était peut-être pas nécessaire de jouer la redondance de ce désordre visuel, dans l’exposition même de ses grandes images. La justesse de leur propos s’en voit affaibli par l’intention même de les faire parler de ce qu’elles montrent.

Et là est peut-être, grâce à cet ensemble inégal d’expositions, tout l’intérêt de « L’été photographique de Lectoure » : celui de prendre des risques, de ne pas se contenter d’exposer des photographes reconnus, et dans le lot, de laisser se dégager, une ou plusieurs « pétites » (– artistes émergents dit la critique médiatique ? –) avec qui l’on prend déjà rendez-vous, l’été prochain ou bien avant. Reste la question de la soi-disant thématique d’une manifestation, qui, lorsqu’elle essaie de prendre au vol des termes médiatisés par la critique ou l’air du temps, prend le risque cette fois-ci pas toujours assumé de laisser déborder par des productions qui ne résistent pas toujours à l’ambition du propos !

Septembre 2008