L’histoire Européenne de la Photographie,

Un certain nombre de publications concernant la photographie en Europe s’appuyaient surtout sur l’influence des grandes nations France , Angleterre , Allemagne notamment , en négligeant d’autres comme les pays de l’Est par exemple. C’est pourquoi le professeur Václav Macek, président de l’association FOTOFO et directeur du festival du Mois Européen de la photographie à Bratislava a coordonné l’édition de « L’Histoire de la photographie européenne » (1900-2000). Pour ce faire il a constitué une équipe de 46 experts de 35 pays de renommée internationale. Leur travail a abouti à la réalisation d’une encyclopédie répartie sur trois périodes historiques, soit 6 volumes et 2400 pages rédigées en anglais. L’importance de l’ouvrage a nécessité un travail éditorial étagé de 2010 à 2016. Il est important aujourd’hui de faire retour sur cette initiative majeure pour l’histoire de cet art.

Le découpage historique s’est fait en choisissant, ce qui peut paraitre critiquable, l’année précédent la seconde guerre mondiale comme une première période 1900-1938, quand la fin du conflit a apporté tant de changements de toutes natures. La seconde époque se répartit donc entre 1939 et 1969 et la période contemporaine court jusqu’à 2000, ce qui boucle un centenaire quand plusieurs auteurs auraient préféré poursuivre jusqu’à l’année de parution du premier volume, soit 2010. Ce sont finalement 79 auteurs soigneusement représentatifs qui se sont attachés à écrire cette histoire paneuropéenne. Chaque livre est illustré avec des cartes politiques qui montrent les changements, mais les pays actuels (à l’exception de la Bosnie-Herzégovine et de la Macédoine) sont représentés en fonction de leur répartition géographique.L’histoire absolument tragique de la photographie albanaise, résultant du manque de matériel photographique et d’appareils photo et de l’influence négative du régime y est présente mais aussi des situations plus apaisées comme celles de l’Islande et du Luxembourg par exemple.

Une étude sur l’histoire de la photographie dans chaque pays a été rédigée par un expert national. En plus des études principales, chaque livre contient également des biographies des créateurs mentionnés et des calendriers recensant les événements photographiques culturels, socio-politiques et techniques dans chaque pays pour la période de référence. Le tirage global est de 5000 exemplaires dont la distribution est rassurée par l’intermédiaire des partenaires du réseau du Mois Européen de la Photographie : Café-Crème, Luxembourg, Kultur Projekte, Berlin, Vladimir und Estragon, Vienne, Maison de la Photographie à Budapest, Association Photon à Ljubljana. L’arrivée de Simon Baker à la Maison Européenne de la Photographie a quelque peu ralenti cette collaboration.

Le choix des rédacteurs de différentes générations révèle un grand professionnalisme. Ils sont souvent liés à une institution pour la Belgique Georges Vercheval a été le fondateur du Musée de Charleroi,et Urs Stahel a créé le Fotomuseum Winterthur en Suisse. On trouve aussi des universitaires et historiens de l’art comme Vladimir Birgus (République tchèque) Marc Tamisier (France). D’autres ajoutent aussi à cet enseignement des travaux de curateurs : Françoise Poos et Paul di Felice (Luxembourg) ou Gerry Badger (Grande Bretagne). Des créateurs sont présents comme le polonais Lech Lechowicz ou notre compatriote Pierre-Jean Amar.Les critiques y sont nombreux telle Gigliola Foschi (Italie) ou le norvégien Jan-Erik Lundström.

Les auteurs ont reçu une véritable carte blanche. Pour notre pays Marc Tamisier dans les deux premiers volumes met l‘accent sur les nombreux apports d’artistes étrangers tandis que dans le troisième tome Pierre-Jean Amar, accorde beaucoup d’attention au marché de la photographie, aux festivals et aux éditeurs. Les historiennes russes de la photographie Irina Chmyreva et Evgeny Berezner insistent sur l’exposition du 150e anniversaire de l’invention de la photographie en 1989 comme un tournant important.

Parmi les 1800 créateurs on s’attend à trouver en bonne place Laszlo-Moholy Nagy, Arthur Benda, René Magritte, Paul Nougé, František Drtikol, Jaromír Funke, Paul Nash, Brassai, André Kertész, Luigi Veronesi, Witkacy, Alexander Rodchenko, Martin Parr, Antonín Kratochvíl, Anton Corbijn pour n’en citer que quelques uns.

Le rôle des créatrices n’est pas oublié, d’un point de vue historique on trouve bien sûr Hannah Höch ou Lucia Moholy, mais on peut découvrir aussi d’autres moins connues en France mais tout aussi importantes comme Edith Tudor-Hart ou Irena Blühová. Pour le contemporain des esthétiques différentes sont représentées avec par exemple Annette Messager Valérie Jouve, Jane Evelyn Atwood et Sophie Calle ou les soeurs Krecké et Vera Weisgerber.

En revanche par rapport à la situation française que je connais bien on ne peut que s’étonner du choix pour la période récente de certains praticiens peu représentatifs du dynamisme de cette scène. Georges Fessy n’a pas renouvelé l’image d’architecture, pas plus que Jean-Pieere Gilson celle de paysage, bien d’autres reporters devaient être cités avant Jean Gaumy, si l’on s’intéresse au genre très difficile de la photo d’humour autant les fables philosophiques de Gilbert Garcin sont des petits chefs d’oeuvre autant Roland Laboye ne commet que ce que Roland Barthes critiquait comme des photos unaires, dont on peut épuiser le sens en une phrase simple.

On peut regretter par ailleurs que plusieurs expositions qui devaient accompagner la sortie des volumes n’aient pu être mises en oeuvre, mais on sait que les expositions historiques sont de plus en plus difficiles et de plus en plus coûteuses à produire.

S’appuyant sur un concept original cette initiative éditoriale contribue à combler une lacune dans la théorie de la photographie. Comme l’écrit Marc Tamisier « elle constitue une sorte de kaléidoscope non seulement d’images mais de problématiques esthétiques ».Fondée sur un travail académique sérieux, accompagné d’une documentation de qualité et d’une belle belle mise en page cette encyclopédie qui constitue une véritable réussite. en approchant des histoires parallèles du médium jette les bases d’une recherche nouvelle sur la photographie européenne.