Liberté de regard. Égalité de traitement. Fraternité des arts.

Cette exposition au Musée Les Abattoirs à Toulouse est un double hommage. D’abord, au jeune résistant Daniel Cordier devenu galeriste et grand collectionneur, dont la collection a été confiée en dépôt à ce musée. Ensuite, à l’exposition Artiste / Artisan ? qui avait eu lieu en 1977 au Musée des Arts Décoratifs à Paris sous l’impulsion de François Mathey dont Cordier était l’ami. Le commissaire Frédéric Vergnes qui est chargé de recherches auprès du musée a eu l’idée de reprendre son intitulé pour désigner la présentation conjointe d’œuvres d’arts et d’objets fabriqués par des anonymes choisis dans la collection, suivant le désir de Cordier d’élargir le champ de l’art en le décentrant vers d’autres aires culturelles et d’autres savoir-faire

Artiste /Artisan : quelle différence ? La question se pose toujours aujourd’hui, surtout avec le regard porté sur un art qu’on n’ose plus nommer « primitif » mais dont les productions artisanales, souvent d’auteurs inconnus, ne peuvent pas être considérées seulement comme des sculptures. Car, à la différence de la revendication du mouvement Art & Craft qui au tournant du siècle voulait intégrer l’artisanat européen dans l’art en soulignant l’importance des arts appliqués, ce sont des œuvres non-occidentales qui attirent le regard des artistes et des amateurs d’art. Daniel Cordier a suivi ce mouvement qui le précédait. Faut-il pour autant affirmer que c’est le regardeur qui sert d’intercesseur pour désigner quand il y a art ? Cela fait encore débat.

Égalité

Cette exposition d’une taille modeste salue ce grand collectionneur qui avait voulu faire bousculer les lignes en introduisant de l’art brut ou des objets artisanaux dans des musées dans le but avoué de casser les hiérarchies admises. Daniel Cordier confiait à Brigitte Gillardet en 2014 :
« J’ai fait une nouvelle donation d’objets « primitifs » à Toulouse. Il y en a environ 500. Ce sont des objets qui doivent être présentés en même temps que l’autre donation, pour moi cela fait un tout, c’est la même chose ».
L’égalité entre art et artisanat, allant presque à les identifier, était manifeste pour lui, et la cohérence esthétique de cet ensemble démontre parfaitement ce principe d’égalité. Grand acquéreur d’art moderne comme d’objets de toutes origines, ce collectionneur compulsif au regard aiguisé avait le génie de faire cohabiter ses multiples trouvailles. Il est même étonnant de voir comment ses objets se répondent, combien ils s’harmonisent entre eux, tout en élargissant le champ de l’art.

Après sa première donation, qui donna lieu à une grande exposition à Beaubourg en 1989, Daniel Cordier a continué d’acquérir de nombreux objets qui le touchaient, dont on peut trouver un échantillon dans ces salles : venant du Japon, de Chine ou d’Afrique, des objets décoratifs, comme des bijoux ou des coiffes, ou encore des produits artisanaux sont magnifiés par une présentation qui leur fait côtoyer des œuvres d’art.

Liberté

Distribuée avec simplicité selon les différents matériaux travaillés : le bois, le métal, la céramique, le textile, l’exposition montre combien l’esprit de chaque aire culturelle, de chaque artisan ou de chaque artiste est capable d’animer une matière première. Et, à l’inverse, celle-ci lui communique ce qui caractérise sa texture en dégageant son charme propre. Rivière, une sculpture-assemblage récente de Nicolas Valabrègue, comme une sculpture plus ancienne de Louise Nevelson, installation de formes de bois peintes, s’harmonisent avec des objets naturels. Europe on a cycle (1953), une sculpture de Richard Stankiewicz, assemblage ludique de matériaux de récupération évoquant Tinguely, semble presque mettre en mouvement l’espace qui l’entoure.

Ce répertoire de formes transcende les cultures, tandis que l’art se mélange avec la nature – tantôt utilisée dans des compositions, comme celle des écorces d’arbre rassemblées par Yolande Fièvre, tantôt avec un bois pétrifié chinois. Le bois n’est pas seulement un matériau pour l’artisan ou l’artiste, il impose sa beauté naturelle. Quant à l’art textile, il est représenté à la fois par des coiffes africaines, des tissages de soie ouzbèque, un patchwork graphique d’Édith Raymond et un immense tapis de Jean-Michel Meurice intitulé Pénélope.

Cette exposition est réussie. Elle gagnerait cependant à se déployer plus tard davantage pour faire redécouvrir l’importance de la collection de Daniel Cordier. Celle-ci apporte une idée particulière de l’art du XXe siècle, mais surtout de la liberté de celui qui l’a réunie.