Ils ne sont pas si nombreux les artistes qui ont travaillé avec la matière image du rayon X. A l’occasion de l’exposition monographique « X ray memories » qui vient de se terminer chez Christian Berst Art Brut la révélation de l’œuvre de Lindsay Caldicott s’accompagne d’un imposant ouvrage préfacé par Marc Lenot , avec un témoignage du frère de l’artiste , Richard, lui-même photographe . Le créateur du blog du Monde Lunettes Rouges nourrit son étude de cette œuvre graphique par des évocations d’autres de ces singulières formes iconiques ou la radiographie est partie prenante depuis son invention par Röntgen fin 1895.
C’est un ensemble important de 340 œuvres sur papier accompagnées des archives qui ont permis de les constituer qui ont été transmises par la famille de l’artiste , pour rendre hommage à cet univers d’un grande prégnance il fallait un livre suffisamment original. Christian Berst qui accompagne la plupart de ses expositions solo de monographies a choisi pour cet ouvrage d’organiser un somptueux livre d’images. Plus d’une centaines d’œuvres et de documents sont reproduits en plein cadre dans un livre au format carré de près de 300 pages.
La vie abrégée par son suicide à 58 ans de Lindsay Caldicott est partagée entre son métier de radiologue et sa création plastique qui tente d’instaurer un espace commun où survivre. Elle fait des études d’art à Londres entre 1983 et 1988, où elle s’intéresse notamment à des artistes comme Beuys ou Louise Bourgeois. Elle est internée en 1990 à Leicester dont elle est native en tant que maniaco-dépressive et schizophrène.
Elle créée sa propre fragile mythologie individuelle en mêlant dans ses collages des éléments découpés, photocopiés, répétés dans un processus obsessionnel d’une précision quasi clinique. Ces assemblages réunissent des sources visuelles variées. On y trouve des fragments issus d’une vingtaine de parties du corps et des vues médicales montrant des scarifications. Les radiographies qui les complètent ont quant à elles servi à la localisation et au pré-traitement de la tumeur cancéreuse. Elle emprunte à son frère, Richard, des vues photographiques qu’il réalise à sa demande dans un vieil hôpital victorien désaffecté. Certaines photos de famille sont aussi réutilisés partiellement ainsi qu’un portrait dans l’atelier parisien que Richard réalise d’elle alors qu’il réside à la Cité des Arts .
Les œuvres d’une première période reprennent d’abord selon des structures simples, des schémas anthropomorphiques. Elles apparaissent immédiatement très incarnées. Si la plupart de ces collages sont sans titre, simplement dotés d’un numéro, l’artiste n’hésite pas à revendiquer un Autoportrait sur son lit d’hôpital (circa 1988) et même un Autoportrait à l’utérus. Cet ensemble apparaît ainsi au plus près d’un journal intime en images. On pourrait rapprocher ces mixtes des collages de john Stezaker, notamment ceux de la série des Old Masks de 2006 qui s’applique à une décontraction paysagère de la face humaine.
Lindsay Caldicott va ensuite varier ses sources iconographiques que le critique recense ainsi :« D’autres images proviennent de livres sur la santé, images impersonnelles de bâtiment (nº57), de couloirs (nº34), de table à roulettes (nº62), d’autoclave (nº81), de lit d’hôpital (nº3), de plateau (nº17), de lavabo (nº36). Un bâtiment étonne par ses formes étranges (nº8, 13). » C’est ce vocabulaire graphique qui va lui permettre d’affirmer leur « rattachement formel à l’esthétique du Bauhaus. »
On peut en voir aussi la proximité avec un photographe représentant de l’école de Chicago. Les composites urbains de Ray K. Metzker, en noir et blanc , ses découpes architecturales comme les frêles silhouettes des habitants scarifiés par les grilles d’ombres portées montrent la même désorientation spatiale que les compositions de Caldicott.
On peut assimiler sa pratique à celle de Salvatore Puglia qui se revendique « plasticien-iconographe », Dans une étude parue dans VACARME 08 il rappelle qu’« au cours de la conquête de l’Érythrée, dès 1896, l’armée italienne fut la première à se servir des rayons X pour localiser les balles dans les corps des soldats blessés ». Il rappelle aussi qu’au moment de l’invention on a qualifié la radiographie de « photographie de l’invisible ». C’est avec cette tradition que renoue Xavier Lucchesi, quand il ausculte les statues du Musée des Arts d’Afrique et d’Océanie. C’est aussi ce à quoi s’emploie Lindsay Caldicott en donnant ses formes proliférantes à ces géométries inconscientes. Du début du XXe siècle à sa fin le couteau de cuisine d’Hannah Höch est devenu un scalpel, les violentes sutures d’images ont disparu au passage sous la photocopieuse, le spectateur sous la séduction formelle des images se voit obligé d’accommoder pour tenir à distance tout en l’apprivoisant la violence de cette affirmation du désir et du mal être au féminin.