L’instant n’en finit pas Catalogue Patrick Neu

De décembre 2007 à mars 2008, le Frac Lorraine a présenté plusieurs œuvres d’un artiste atypique, Patrick Neu, dans le cadre d’une exposition personnelle joliment intitulée « L’instant n’en finit pas ». Des œuvres délicates et parfois éphémères alors réunies subsiste un très beau catalogue.

Comme pour mieux permettre à l’amateur néophyte de découvrir les œuvres de Patrick Neu, des illustrations en sont tout d’abord présentées, séries après séries (verres noircis au noir de fumée, os sculptés…), avant de laisser place aux textes. On pourra ainsi lire une courte introduction de Béatrice Josse, directrice du Frac Lorraine, évoquant les thématiques propres à l’artiste et justifiant par là même le titre de l’exposition. Neu travaille en effet régulièrement avec des matériaux fragiles, voués à disparaître : « … Alors apprenons à aimer l’irréversible ! » conclut Josse, évoquant les dessins sur ailes de papillon ou encore la tour de verres de cristal de l’artiste.

Un texte de Guillaume Sibertin-Blanc explore le travail de Patrick Neu par le biais d’une réflexion philosophique sur le temps, interrogation constante de l’artiste dans des œuvres d’une « essentielle fragilité ».
Enfin, un excellent texte de l’historien d’art Didier Semin nous fait approcher le travail de l’artiste au plus près, à travers les secrets de fabrication des œuvres, décrites comme des procédés d’alchimiste. Ainsi, il évoque une œuvre particulièrement poétique, des lèvres d’argent moulées par l’artiste, « légères comme ces « baisers soufflés » que s’adressent les amoureux et les enfants ». L’essai, rédigé à la première personne, ne craint pas de partir d’anecdotes personnelles pour évoquer le travail de l’artiste. Semin nous raconte ainsi sa première rencontre avec Patrick Neu, dans le cadre de la fascinante exposition « L’empreinte » au Centre Pompidou en 1997. De la production d’un artiste quasiment à rebours (Neu habite toujours la région lorraine et non Paris, réalise peu d’œuvres et « n’entend pas obéir à la logique productiviste qui est la loi de notre monde),

Semin tire trois règles, trois oxymores présents dans ces étonnants travaux : tout d’abord le choix de matériaux malcommodes, par exemple le dessin sur intérieur de verre à pied noirci à la bougie. Ensuite, la confrontation au sein d’une œuvre de formes, d’atmosphères ou de textures antagonistes, comme l’armure de cristal réalisée par Neu, ou encore un carrosse en mie de pain et feuille d’or. En évoquant à propos de ces œuvres la référence à l’univers des contes de fées, friand d’objets impossibles, Semin rappelle l’inutilité propre à l’œuvre d’art, d’autant plus étrange et « flamboyant[e] » qu’elle est absurde. Enfin, la dernière règle veut que l’artiste utilise fréquemment des matériaux si fragiles qu’ils font planer sur les œuvres « la menace d’un péril permanent » ; ainsi ces dessins à la gouache sur napperons de papier carbonisés, « qu’un souffle réduirait en cendres ».

Par la démonstration de ces trois règles, Semin met à jour les qualités particulières du travail de Patrick Neu, dont les formes à la fois poétiques et exigeantes proviennent avant tout de matériaux singuliers. L’analyse des œuvres de l’artiste par l’historien d’art ne relève en rien d’une dissection méticuleuse : au contraire, elle se rapproche d’une des pratiques de Neu, le dessin sur aile de papillon à l’encre de Chine, qui dévoile un motif mais laisse la part belle à l’imagination du spectateur.