Lise Thiollier, Métamorphoses de sel

Métamorphoses de sel
Lise Thiollier, commissariat Alexia Pierre
La galerie Centre d’art contemporain de Noisy-le-Sec
Du 1er février au 26 avril 2025

Suite à une résidence dans le désert d’Atacama, Lise Thiollier entame une enquête sur ce paysage et interroge la présence du lithium, métal à la fois utilisé dans la pharmacopée psychiatrique, dans la fabrication de batteries de téléphones et dans l’industrie. Sa formation d’anthropologue l’amène à établir des relations entre des matières et des territoires. Pour cette exposition, elle a fait appel à plusieurs collaborateurs auprès desquels elle a appris des savoir-faire. Elle écoute également les récits et histoires d’habitants qu’elle rencontre et qui partagent avec elle des croyances.

Une première sculpture en porcelaine trempée dans le sel, posée sur l’aquarium dans lequel elle était installée et a été cristallisée, renvoie au mythe de la femme de Loth transformée en pilier de sel. Plus loin, une installation s’apparente à un sanctuaire de flamants roses, espèces en voie de disparition, dû à l’exploitation en eau requise par l’extraction du lithium. De minuscules sculptures en porcelaine teintée reposent sur des écrans LCD recyclés. L’ensemble est posé sur une plaque, tel un paysage en suspens, fragilisé et dont il convient de prêter attention. En face, un maillage de nappes d’interconnexion usagées révèle une cartographie des mémoires de relations entre des individus et des contextes. Lise Thiollier décortique les éléments constitutifs de ces téléphones portables et nous fait prendre conscience de toutes les étapes de leur fabrication. 

Photos Salim Santa Lucia

Plus loin, une paroi d’écrans LCD également récupérés provoque l’impression de se sentir dépassé par la quantité de production de déchets. Elle nous invite à réfléchir sur nos relations à cet objet de connexion avec le monde extérieur, également témoin d’une consommation à outrance et d’extraction des ressources. 

Dans une autre salle, les temporalités et les géographies s’entrecroisent. Un film projeté sur un grand mur incurvé montre un coucher de soleil, filmé par Christophe Nanga-Oly, derrière une déchetterie entre Noisy-le-Sec et Bobigny. En face, diffusé sur un petit écran, une autre vidéo, où le soleil se lève dans le désert d’Atacama, filmé par Zahel Quezada. Deux moments contemplatifs se superposent et nous amènent à prêter attention au cycle du soleil. En vis-à-vis, des diapositives d’images issues d’archives personnelles du désert montrent les montagnes et un paysage de sel semblant résister aux bouleversements. The Voices of Time, sculpture en grès, en forme de toupie, posée sur un morceau de bois, fait écho à la fois à un récit de science-fiction éponyme de J.G Ballard, à la spirale Jetty de Robert Smithson et au film JG de Tacida Dean. L’artiste interroge la fragilité des écosystèmes, nos rapports aux objets usagers ainsi que leurs potentiels nouveaux usages.

Ses sculptures mobiliers Nids, réalisés en paille et chanvre avec la technique du torchis, en collaboration avec l’atelier de menuiserie Populus, permettent une pause avant de poursuivre le voyage temporel. Ceux-ci nous incitent à nous lover et à écouter une bande son constituée d’échanges qu’elle a eu avec l’anthropologue chilien et spécialiste en éthnomusicologie Claudio Mercado, qui l’a guidé dans son processus de création ainsi que de sons de crépitement de cristallisation de sel, d’oiseaux et de machines enregistrés par des habitants du désert rencontrés au Chili et dans l’Allier, et de Luize Nezberte qui en assure la composition. Ces Nids invitent aussi à être attentifs à nos ressentis, à nous reposer et à découvrir la littérature qui a inspiré l’artiste.L’importance de l’écoute dans cette recherche, Lise Thiollier le développe aussi au fil d’échanges avec Alexia Pierre, commissaire de l’exposition, qui l’accompagne dans sa réflexion depuis la résidence dans le désert d’Atacama. 

Diffusé sur un écran de téléphone, le film Om réalisé en collaboration avec le cinéaste Christophe Nanga-Oly, montre le site de Beauvoir sur la commune d’Echassière, bientôt premier site d’extraction du lithium en France : un usage des terres qui fait débat quant à leur transformation possible.

Occupant une autre salle du centre d’art, d’autres sculptures en grès suggèrent des formes entre éléments minéraux et organes du corps humain. Elles traduisent une sorte d’énergie interne et un état en tension, suscitant l’impression d’une certaine fragilité. L’artiste cherche selon ses propres mots « à préserver le mou et le mouvement dans la sculpture » et fait ainsi confiance aux aléas. Elle ramasse également toutes sortes de déchets à la fois naturels et électroniques, témoins de ce qu’on laisse derrière nous au quotidien, qu’elle fige dans du plexiglas. Ces récoltes deviennent alors de possibles vestiges issus d’un sol en transformation.

Dans cette exposition, différentes modifications des matières sont données à voir. L’artiste crée un possible récit entre un territoire désertique impacté et ce qu’elle découvre en décortiquant des matériaux. Elle nous incite également à prêter attention aux différents dispositifs de vision ainsi qu’à la place que les images et les outils de communication prennent dans notre quotidien.