Baptiste Lignel a parcouru la France métropolitaine et outremer pour interroger la notion de Sauvage, un sujet qui lui permettait de croiser diverses problématiques contemporaines. En amont, il a pris le temps de se documenter en lisant un certain nombre d’ouvrages de différentes typologies afin de définir les lieux à photographier et commencer à aborder son périple. Sa rencontre avec Gilles Clément, paysagiste, jardinier, écrivain, lui a permis d’affiner sa pensée.
Le photographe a pris la posture d’un explorateur, les yeux ouverts allant d’un lieu à un autre, découvrant des endroits qui l’ont incité à s’arrêter. Il témoigne à l’occasion d’un échange : « Je suis parti de manière très instinctive sur les traces de ce mot, « sauvage », sans y connaitre grand-chose. Je dirai que la première année a été un jeu étonnant de va et vient entre ce que mes lectures me permettaient de comprendre du sujet (ce qu’il porte historiquement, qui en a dit quoi, etc…) et les photos produites sur le terrain. Ce binôme est essentiel : démarche intellectuelle d’un côté, et réalité physique sur place. Quelle qu’ait été ma recherche, ce que je trouvais sur place m’amenait souvent à un résultat inattendu, à une image ou une thématique que je n’avais pas prévue. Cette disponibilité au « réel » a été importante. »
Ses photographies noir et blanc proposent des ouvertures vers des ailleurs, où tout n’est pas donné à voir tout de suite. Chacune nous engage vers une réflexion et engendre un temps de discussion autour de questions sociétales. À côté, les légendes permettent de donner des informations précises sur la prise de vue, modalités de création du photographe, journaliste.
Un texte de Gilles Clément, aussi bien poétique qu’engagé, amorce la découverte des photographies noir et blanc. Le paysagiste nous invite à garder en tête la possibilité d’errer et de se laisser surprendre par ce qui apparaît à notre regard : « Oui, il faut d’abord se perdre. Refuser le guide du randonnard (un routard attardé) et découvrir ce qui nous étonne sans devoir s’extasier devant ce que l’on nous donne à voir par obligation. »
Un dessin délicat de plante de Julie Terrazzoni, telle une planche d’herbier où l’ombre du végétal rend visible sa finesse répond au titre de chaque chapitre. Cette mise en page fait référence aux livres de botanique du XIXe siècle. En soulevant cet insert, un texte du paysagiste dévoile l’histoire du végétal, ses propriétés, son rôle et les relations que les hommes entretiennent avec la nature.
Le photographe signe un très beau texte, à la fois déroulement de sa pensée et conclusion de son périple. Celui-ci incite à prendre du recul vis-à-vis de notre position d’être humain, à nous décentrer afin de contempler les diverses formes de vie animales et végétales : « Apprécier chaque forme de vie pour ce qu’elle est en elle-même – sa forme, son odeur, son mouvement, sa texture, son agilité, son intelligence, sa solidité – et non pas pour ce à quoi elle peut nous être utile à nous, les humains. »
En s’intéressant au sauvage, Baptiste Lignel nous fait songer aux significations de ce terme, à son impact, à nos relations avec la « nature » et avec autrui. Les absurdités construites par les humains sont mises en lumière. D’où l’importance des mots, de leurs significations et de ce qu’ils impliquent : Prise de conscience de nos relations au vivant.
Des citations de différents auteurs ponctuent les pages de ce livre, stimulent notre perception et notre pensée. Tels des indices pour considérer avec justesse notre place en tant qu’individu humain vis-à-vis des non-humains, ces textes inscrivent la recherche photographique dans une histoire de pensées, d’attention à la nature, au vivant et au-delà aux traitements que subissent les humains.
Ainsi, cet ouvrage invite à une promenade visuelle à travers divers paysages, ruraux et urbains. Il nous convie à envisager autrement notre place d’humain, qui a tant domestiqué la nature qu’il devient nécessaire de préserver la végétation spontanée. Eminemment politique, au-delà d’être un très beau livre de photographies, Sauvage attire notre attention sur des enjeux sociaux, l’esclavage, les colonies, les limites, la migration… Sa composition et l’ensemble du travail de mise en page incitent le lecteur à plonger dans nombre de lectures qui ont nourri le photographe.
À partir de deux photographies réunies dans ce livre, Baptiste Lignel propose une installation-photographique dans le cadre de l’exposition Forest Art Project, à l’église des Jacobins à Agen (visible jusqu’au 30 avril). Sa photographie Primaire, qui introduit l’exposition, implique une attention toute particulière de la part du spectateur, invité à se déplacer pour percevoir le mot traversant la vue aérienne de la forêt primaire guyanaise.