L’ouvrage de Blaise Perrin à la Casa de Velazquez

Il est des résidences pour artistes qui gardent une aura de creuset favorable à la création. La casa de Velazquez à Madrid est de celles-là. En marge de Foto Espana la galerie Esquina Arte Contemporaneo accueille quatre résidents réunis autour de la pratique photographique sous le titre « Tiempo,Memoria y Paisage ».

Daniel Touati est écrivain et produit des portraits en noir et blanc en un cadre serré. Plus que de potentielles figures romanesques, les modèles rassemblés nous apparaissent dans leur proximité comme des personnages de quelque scène théâtrale ou tirés du casting d’une fiction cinématographique à la française. Images pré-texte en quelque sorte.

PourAlbert Corbi l’image est une substance rare produite à peu d’exemplaires travaillée dans sa forme-tableau. Mais elle ne se suffit pas vraiment c’est pourquoi elle s’accompagne de textes. Ceux-ci sont peu lisibles dans un format cahier d’écolier, alors que les deux grands tirages ici proposés à notre contemplation ils évoquent un chantier ou un atelier, de ces coulisses qui font création, approchant un work in progrès aux qualités plastiques certaines.

Les photographies d’Olivier Nord ont elles aussi des qualités incontestables, dans un travail au cadre exigeant, les itérations sérielles y font sens. Elles témoignent d’une pratique de coloriste intéressé par des scènes collectives. Elles ont en fait un double statut de production artistique à part entière et servent, qui plus est, de documents à une peinture elle aussi haute en couleurs dans des all over de personnages arrachés au quotidien par cette prise photo.

Blaise Perrin poursuit lui une série de photographies couleurs au service d’une folle et merveilleuse aventure humaine celle du Père Justo Gallego. Ce prêtre d’abord mis au ban de sa communauté religieuse parce qu’il était tuberculeux s’et remis seul de sa maladie. Il a alors décidé de consacrer le reste de sa vie à l’édification d’une cathédrale dans la banlieue de Madrid. Seul et avec ses faibles moyens il poursuit son projet depuis le début des années 60, s’inspirant du modèle de la basilique Saint Marc à Venise.

Dans la pénombre de la construction le photographe traque les objets et les indices matériels de l’évolution du chantier. Cette esthétique caravagesque croise de temps en temps la silhouette du padre. Blaise Perrin avoue qu’il a mis plus de trois ans à oser faire le portrait du maître des lieux que l’on voit exposé. Pourtant à aucun moment il n’est venu en reporter, il a autant sinon plus passé de son temps à apporter son aide à la construction qu’à faire des images. De ce fait chacune est la rencontre précieuse d’un moment, d’un objet et d’une lumière,même s’il est trop tentant de parler de moments épiphanies. Si le travail d’une rigueur et d’une beauté plastique rare a trouvé son moment médiatique (Vincent Noce lui a notamment consacré trois pages l’an dernier dans Libération) il est temps qu’un éditeur prenne ce risque de concret un beau livre à cette aventure exceptionnelle que l’artiste de la casa de Velazquez a simplement titré « L’ouvrage ».