La galerie ma collection dirigée par Jeanne Truong expose jusqu’au 24 décembre 2009 les photographies de Lucia Rossi, une jeune femme d’origine italienne de Tasmanie. Nue dans les paysages, cette femme-mer, cette femme-vague, cette femme-vent, cette femme-roche, cette femme-arbre explore la quête d’une harmonie avec la mythologie, la nature et la spiritualité. « Le paradis est dans l’unité de l’être avec la terre. » Jeanne Truong
« Beaucoup de personnes me demandent pourquoi j’utilise mon propre corps. Mon travail est une interrogation personnelle de ce que je ressens : être une entité corporelle dans sa connexion au monde. Mettre mon corps dans l’image est une partie inhérente à mon travail, car il s’agit d’une réponse sensorielle, viscérale… C’est un moment de méditation qui est en lien avec un lieu spécifique, la nature, un objet, l’architecture même. Mon travail s’engage dans un processus physique, intellectuel, spirituel, intuitif. Ce n’est plus un travail sur mon identité propre, mais celui d’une interrogation sur l’identité humaine. La création d’une mythologie où le corps devient un symbole de l’humanité et de la divinité. »
Mon travail sur la nature de Tasmanie et l’exposition « Paradis retrouvé » est un point de convergence entre les artistes et le commissaire de l’exposition Jeanne Truong. Si l’exposition porte un tel titre, « Paradis retrouvé » ou « Paradis perdu », c’est à cause de la perte de ses origines. A l’origine, dans la mythologie chrétienne ou persane, c’est le commencement de la perte du monde idéal et celui de la souffrance humaine. Qu’est devenue la signification réelle du paradis à notre époque ? Une réalité fausse ? Une espérance artificielle ? Un idéal inaccessible ? Pour moi, c’est la notion d’un lieu qui est de plain-pied avec le spirituel, l’âme.
Comme cette notion de désert qui cesse d’exister si un être humain y pénètre. Je ne suis disciple d’aucune religion, mais je crois à la spiritualité, et je pense que nous pouvons nous approcher d’une conscience plus élevée. Le paradis n’est pas perdu, il est juste oublié ! »
Je lui montre différentes photographies de Rafael Minkkinen, Lucia Rossi réagit : « J’aime ce photographe dont je connais le travail, parce qu’il est poétique, parce que l’homme nu représenté touche le paysage. C’est un travail très musical. Il entre dans le paysage. Le geste naît en retour. Il ne veut pas faire une description géographique du paysage, je sens l’air à côté de lui, l’essence de l’air, le mouvement du lieu. Ces corps d’hommes me plaisent parce qu’ils ont un côté féminin dans leur geste. La forme est longue, élégante. Il joue avec l’espace vide. Je me sens proche de lui. Quand on est dans la nature et que l’on travaille seule, on ressent la réalité des trois dimensions. Photographier c’est passer en deux dimensions » et les photographies de Lucia Rossi respirent le vent, les éléments, le mouvement.
A propos de ses Body Land Arno Rafael Minkkinen écrivait : « On me pose régulièrement la même question : « Pourquoi es-tu toujours nu sur tes photos ? » Mains nues, pieds nus. Ce n’est pas cela qui m’intéresse. C’est le sexe et les fesses nus qui perturbent le plus les gens (…) Mais je veux représenter quelque chose d’autre : la sensation intemporelle de nos corps dans l’intemporalité de la nature. La nudité de notre peau, semblable à celle de la roche et des arbres, nous transforme en être sans âge Je serre le tronc du pin avec la même force qu’il met lui-même à m’étreindre. »
« J’ai commencé à enlever mes vêtements en 2003, je décidai d’enlever mes vêtements parce que l’habit donne une identité trop chargée, une distance. Je recherche le symbole, les hiéroglyphes. Si j’ai utilisé mon propre corps c’est parce que je voulais explorer les histoires mythologiques, mais il n’y a pas que cela…J’aime cette époque de la mythologie, de ces histoires de femmes, déesses mythiques ou simples mortelles métamorphosées par les Dieux… La puissance de l’art à cette époque. Notre époque est triste : les femmes sont des businesswoman, des anorexiques, des mères ou des putains ! Quelle est la place de la femme dans notre société contemporaine ?…J’ai toujours la force de la sensualité de la femme. La Méduse du Caravage. La spiritualité c’est le véritable objet de l’art. L’art aujourd’hui à changer, ce n’est plus un objet spirituel. Je m’intéresse aux tableaux des religions. »
« Je viens du sud de la Tasmanie. Là-bas, les couleurs sont particulières. Ce que j’aime avec la mer, c’est le mouvement, c’est un rythme très féminin, c’est comme un rideau dans le vent, deux fois par jour, aller-retour, on a l’impression d’être dans le monde, un souffle, le soleil se lève. La nature, c’est ce que j’aime. La Tasmanie est très chère à mon cœur, c’est une nature mythologique. Dans l’île il y a toujours une pensée qui nous habite. Quand on voit l’horizon de la mer, cela nourrit la psychologie des rêves. Quand on contemple l’horizon de la mer, ouvert, sur le ciel, on est connecté avec le ciel. Ce mélange du bleu du ciel et du bleu de la mer …et on entre en méditation, dans un espace spirituel. La nature explique la spiritualité. C’est l’énigme…la forme de l’énigme. C’est beau de comprendre la spiritualité. On ne peut la tenir. On peut toucher le corps. Et il y a quelque chose dans notre corps qui touche la spiritualité. Nue dans la nature. Mais le corps nu c’est aussi une forme de vulnérabilité. D’autant plus qu’il s’agit de mon propre corps… »
« La Tasmanie est une île à l’extrémité du monde, fait de paysages sublimes, beaux et peu communs. Un Paradis ? Peut être ? Mais un paradis en danger qui risque d’être à jamais perdu. Ainsi la moitié de son désert, théoriquement protégé comme patrimoine de l’humanité par l’Unesco, connaît toujours le risque d’être détruit par un gouvernement insensible à l’écologie et une industrie grandissante qui massacre la forêt, pollue l’environnement et tue la faune. Les produits chimiques saignent l’écosystème. (cf. l’image Logging Coup, Tasmania). C’est la Tasmanie que les touristes voient rarement. C’est une bataille constante pour essayer d’arrêter la déforestation et sauver les quelques lieux sur notre planète qui ont cette touche de beauté. Le Brésil et l’Indonésie souffrent du même problème. »
« Dans mon travail je réalise un maping de l’espace, carte géographie du lieu en 3 dimensions, chaque image est en séquence, je ne coupe pas le négatif, ainsi naît la série. Mon but c’est la construction de la déconstruction. » Lucia Rossi a parcouru toute l’île de Tasmanie du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest, fascinée. Bien qu’elle travaille également avec le numérique, elle préfère travailler à l’argentique avec un vieil appareil photo (6×7) la lenteur du processus de travail correspond davantage à sa démarche, le numérique proposant un autre espace-temps. « Les travaux de l’exposition « Paradis retrouvé »sont deux entités financées par Art Tasmanie : CRADLE (2005-2006) a été réalisé alors que j’étais en résidence de trois mois dans la solitude la plus complète dans une cabane dans les montagnes sans eau et sans électricité. Pour PANDANI COUPLE ou PANDANI DANCER (2005) – pandani étant le nom de l’arbre – je découvrai à quel point la solitude est nécessaire. Je partais le matin avec mon sac à dos, et je marchais des heures dans la vallée, je restais à contempler le paysage et je trouvai que ces arbres les pandanis avaient une histoire à raconter. J’accomplissais des gestes de danse avec ces arbres. En harmonie. Ils sont comme des personnages. Un ranger m’a raconté une histoire effrayante. On dit qu’un jour quelqu’un s’est tué dans cette vallée et que l’on n’a jamais retrouvé le corps, mais bien que ce soit une légende, le paysage porte l’empreinte de ce fantasme. PANDANI COUPLE représente le couple et PANDANI DANCER, la muse. Dans notre société, le couple est sacro-saint et pour comprendre l’idée du couple, nous avons besoin des muses. »… « Ce que je montre dans mon travail de femme : une construction de la déconstruction. Etienne Jules Maney travaillait le mouvement, il déconstruisait le mouvement du corps dans l’image fixe, mais son travail c’est comme une image de cinéma, c’est une image en mouvement c’est le premier film réalisé dans le sens de l’animation. »
« Et puis ISOLA CORPO (2007) où j’ai parcouru l’île du Nord au Sud, d’Est en Ouest. Les séries d’ISOLA CORPO sont des travaux de séquences qui visent à décrire le tempo du mouvement de la nature : le mouvement de la mer pour ARRIVAL DEPARTURE, l’érosion lente des roches depuis des milliers d’années pour RESISTANCE ou du rampement nocturne des petits insectes pour EPHEMERAL TRACE. Dans ces séries, le corps est en mimesis
avec la nature, presque comme un point d’entrée théâtral pour le comprendre plus profondément. Abraded, Ephemeral Trace, Arrival Departure, Resistance ( 2007) où Lucia Rossi pose nue sur le sable face à la mer, est un travail remarquable l’horizon du corps touche l’horizon de la mer et du ciel : « j’aime la géologie, le sens du mouvement dans la nature, le mouvement lent de la marée, des roches, du sable…il y a quelque chose avec le temps, quelque chose de l’ordre de l’animation. Dans la nature tout est mouvement, mais ce n’est pas évident de le ressentir ! Les grandes roches sont les traces des temps anciens. La nature, la naissance de la mythologie. »
« Je pense qu’à notre époque nous ne sommes pas encore tout à fait à l’aise avec le nu, qu’il soit féminin ou masculin. Le nu pose toujours la question du genre qui regarde l’autre genre Le regard d’un homme sur une femme est différent du regard d’une femme sur une femme. C’est la femme qui porte le sacrifice. Où sont les images des hommes qui font des sacrifices ?
Nous n’avons pas beaucoup avancé. Le jour où nous reconnaîtrons la puissance de l’un et de l’autre, nous aurons la paix sur terre. Nous connaissons des souffrances dans la vie certes, mais notre monde est plein de souffrances, les guerres, les enfants qui ont faim… Notre monde est excessivement patriarcal, la véritable puissance de la mère et de la véritable puissance de la sexualité féminine est sérieusement réprimée. Se pose toujours la question du respect pour la différence, du respect pour l’inconnu, et pour ce qui nous échappe. Pendant beaucoup d’années, j’ai utilisé mon corps intuitivement et je me crée, et me recrée. Je pense que la vulnérabilité est essentielle pour comprendre notre force, que l’on soit homme ou femme. Je veux montrer la vulnérabilité, la puissance et la beauté dans le même geste. C’est pourquoi j’aime également le travail d’Arno Rafael Minnkinen et de John Coplans parce qu’ils ont tous les deux photographié leur corps, et leurs images sont tout cela. »
« C’est un problème pour notre société d’accepter la sexualité, or c’est une part de la nature.
Le désir. La muse. Le couple. Trilogie nécessaire pour que l’alchimie naisse… »