Imaginer le regard de la grand-mère de l’humanité, vieille de 3,2 millions d’années à travers les œuvres de 25 artistes issues de différents pays d’Afrique ou de leur diaspora tel est le pari réussi de « L’iris de Lucy » au Château de Rochechouart en Limousin.
Cette dernière exposition programmée par Annabelle Ténèze avant son installation à la direction des Abattoirs de Toulouse témoigne par cette ambitieuse sélection féminine de la poursuite de son engagement en tant que commissaire, que nous avions déjà apprécié dans sa collaboration avec Julie Crenn pour Peindre, dit-elle en 2015. Cette année en plus de la peinture toutes les pratiques artistiques sont représentées à travers des esthétiques fort diverses réunies sur les trois étages de la façade du Centre d’Art inauguré en 1985 et dont les façades sont en cours de restauration.
La question de l’identité est posée dès la première salle avec le masque blanc d’une reine berbère oubliée de l’algérienne Amina Zoubira qui fait face à une vanité structurée en 12 photographies par Barry Bickle (Zimbabwe) qui réactualise la découverte en 1974 du squelette de Lucy. Le parcours se clôt au dernier étage du bâtiment avec une vidéo en deux écrans de Michèle Magema (Congo) qui non sans ironie embrasse son propre masque, blanc lui aussi, tandis qu’elle avance le bas du visage à demi recouvert de plâtre pour se donner Le baiser de Narcisse.
Loulou Chérinet ( Suède) fait interpréter dans un noir et blanc muet diverses attitudes mimant une palette d’émotions. Nicène Kosentini (Tunisie) présente à la fois une série de 12 images performatives où elle hésite entre action et protection, coincée au bord du cadre, tandis que sa grand-mère enregistrée en vidéo essaie de surmonter son Alzeimer pour continuer de transmettre ses Histoires même si la trame narrative en est décousue.
Beaucoup de ces artistes se sont mises en chemin, dépaysées ou exilées même si comme le craint Zineb Sedira , « gardienne d’images » venue d’Algérie le voyage est impossible, ses épaves mauritaniennes de paquebots mangés par la rouille le suggère. Bouchra Khalili (Maroc) rappelle que ce chemin est aussi celui des clandestins en Méditerranée qu’elle retrace dans The Mapping Journey Project. Depuis l’Ethiopie via New York Julie Mehretu sait qu’il lui faut inventer une nouvelle cartographie stratifiée comme des plans de complexes architectures à investir dès que réalisées.
Des techniques généralement attribuées à la femme sont réappropriées ou détournées. Il nous est heureux ici de retrouver les textes cousus à même la toile par Ghada Amer (Egypte) qui nous invite à déchiffrer La définition d e l’amour d’après le petit Robert. Billie Zangewa (Malawi) opère d’étonnants collages qu’elle intitule « tapisseries de soie » et qui réinvnetent des espaces urbains à la dimension sensuelle du corps. Otobong Nkanga (xxxx) utilise un mode apparemment plus traditionnel de tapisserie qui pointe subtilement mais avec acuité le pillage des ressources de l’Afrique.
Servant d’images de communication à la manifestation l’installation tissée de Safaa Erruas ( Maroc ) Invisibles suspend à des fils de coton autant d’autres « iris », repros photographiques d’un œil humain. Une autre installation plus imposante découpe des silhouettes de femmes enceintes dans du tissu brodé. En préambule une vidéo nous montre l’artiste attendant un prochain heureux événement Fatima Mazmouz (xxx) dans le rôle de Super Oum qui dévore des cerveaux en plastique comme le ferait une indigne mère-patrie ?
Zoulika Bouabdellah (Algérie) trace au vernis à ongle le sanglant Cauchemar d’un meurtre inspiré d’une histoire d e l’art occidentale. La performeuse et photographe Myriam Mihindou (Gabon) évoque Le corps que l’on pleure en images fixes et animées, celui des prostituées.
Autre artiste en colère Pelagi Gbaguidi (Sénégal) bien qu’elle ait fait ses études à Saint Luc en Belgique se revendique « griot » communiquant avec ses morts. Ils lui transmettent des dessins dont la facture faussement enfantine ne correspond en rien aux violences faites aux femmes sur le continent africain qu’elle réalise avec une réelle énergie.
A l’opposé de ces actes primitifs les imposants collages numériques de Wangechi Mutu (Kenya) construisent d’autres identités androïdes mélangées relevant de l’animal ou du végétal ; le titre de son œuvre I belong to you, you belong to me suggère une relation fusionnelle projetée dans un futur biotechnologique. Celle-ci est réalisée au présent par Mwangi Hutter, artiste inventée par le couple Ingrid Mwangi (Kenya) et Robert Hutter (Allemagne) qui dans le triptyque vidéo Règne turquoise se donnent une sérénade amoureuse où la femme rejoue avec sensualité des portés qui évoquent les descentes de croix mais dans une atmosphère de partage tendre.