La dimension critique du réseau

Revue d’art depuis 2006

l’univers épuré d’Isabelle Marmann

Cela ressemble à une gageure de proposer l’ex kiosque à journaux, que l’Aica Luxembourg occupe comme lieu d’exposition temporaire depuis 2005, à l’artiste luxembourgeoise Isabelle Marmann. Son travail, tout en filigrane, qui demande recueillement et qui incite à la méditation, est exactement à l’opposé de ce que le kiosque, du moins dans sa première fonction, représente.

Et pourtant elle n’a pas peur de se présenter en train de s’éclipser comme le premier titre de son installation l’indique joliment : je m’évapore.
Au contraire, face à ce lieu difficile mais interpellant, elle aborde avec discrétion la question du privé et du public en répondant par subtilités antinomiques. A la fonction de rencontre et d’agrégation sociale de ce lieu, elle oppose un face à face solitaire entre œuvre et spectateur. Contre le tout plein d’informations – l’affichage proliférant d’images de magazines et de journaux – elle propose une économie iconique et une mise en évidence du vide. Aussi, face à la vitesse du trafic se reflétant dans les vitres du kiosque, elle instaure une autre temporalité, celle de la lenteur qui affronte l’immédiateté avec la sagesse et la sensibilité de son art.

Le vocabulaire d’Isabelle Marmann est le résultat de l’interpellation systématique à partir d’images et de textes qu’elle se réapproprie tout au long de sa recherche. Comme le critère d’intégration d’un élément choisi est basé sur le degré d’ouverture interprétative et sur la neutralité expressive, les sources s’inspiration, de la citation littéraire à l’image symbolique de magazine, sont très variées. Le montage proprement dit est un choix très épuré de ce matériau duquel est constitué « l’univers » plastique de l’artiste.
Mais que nous raconte-t-elle avec ses trois dessins et deux phrases qui se déploient comme des pages blanches, à peine maculées, sur les vitres du kiosque ?

Notre regard est d’abord attiré par ce dessin d’homme dans la posture appelé demi-fleur lotus , une pose de yoga qui convient pour la méditation, mais qui représente la version la plus accessible pour les non-initiés. Légèrement décalé du centre de la partie frontale du kiosque, le dessin fait écho au texte du titre qui chapeaute l’ensemble : le vent picotait mes joues dit cette phrase qui est la transcription graphique d’une déclaration manuscrite. Isabelle Marmann n’a pas choisi cette posture et cette association par hasard. Au contraire, en évitant la référence bouddhique et en apportant par le texte une sensitivité physique à l’ensemble, elle réussit à relativiser le spirituel et conjurer le prophétique. La correspondance avec le dessin de la tortue nous rappelle son intérêt pour la culture asiatique qui nourrit son travail artistique depuis quelques années déjà. Cependant, elle ne nous impose rien, et nous laisse la liberté d’interpréter personnellement ses propositions imagières, parfois, insolites. La symbolique de la longévité et de la sagesse ainsi que la philosophie zen se mélangent à d’autres cultures et aux stéréotypes qui peuplent notre inconscient collectif comme le Bambi que l’artiste a rendu légèrement menaçant.

Si la composition des éléments éparses est organisée en fonction des possibles approches et déplacements du spectateur, l’adhésion à ces petites représentations se fait discrètement à travers le dépassement de la narration linéaire en y intégrant l’histoire personnelle d’un chacun.

Plutôt que des images et des textes de consommation rapide, l’artiste nous présente ici, une installation d’une légèreté esthétique qui se caractérise par un concept minutieusement élaboré qui demande aussi un réel investissement du regard dans le temps et au-delà de l’espace quotidien.
Donc, pas de racolage médiatique, pas d’images choc dans ce kiosque qu’Isabelle Marmann occupe avec délicatesse. Que des fictions poétiques, entre texte et illustration, qui nous plongent dans le monde de l’imaginaire, de l’enfance et de l’utopie.