Lydia Flem, Journal implicite ou de tout aléa faire image

Si Lydia Flem est incontestablement écrivain son Journal implicite paru aux éditions de la Martinière est un pur objet photographique qui nous confronte à l’acte quotidien d’écriture et à ses coulisses les plus intimes.

En couverture, des objets du voir et du saisir se proposent en outils facilitant notre lecture tandis que la page du prière d’insérer nous invite à la lecture en damier d’un texte caviardé, au son aigrelet d’une boîte à musique. Entre ces deux extrêmes s’inscrit le projet artistique de l’auteur : donner à voir et à toucher le monde dans le jeu aventureux du texte et de l’image.
Ainsi énoncé on comprend que ce livre é couverture épaisse qui évoque dans le faux-carré de son format les albums d’enfance constitue un nouvel apport à ce que la critique américaine a qualifié de narrative art.

Sa construction en cinq chapitres précisément titrés nous permet de recréer les liens entre les éléments biographiques, les productions romanesques et les séries purement photographiques qui le prolongent. Du coup nous sommes invités à relire les textes tels que Lettres d’amour en héritage ou Comment j’ai vidé la maison de mes parents. Et nous voyons l’ensemble de l’œuvre comme une attachante manifestation d’autofiction telle que Serge Doubrovsky l’a définie.

Version imagée de son dernier roman unanimement salué par la critique, La reine Alice, le premier chapitre, le plus long, le plus bouleversant fait le récit d’une guérison accompagnée dans le choix des objets de vanités contemporaines. Textes tressés ou tronqués nous invitent à suivre le chemin de résilience de la reine Alice, qui s’est perdue dans son miroir. Quand l’autoportrait y est accepté le goût du jeu de la vie reprend ses droits. L’auteur nous convie dans le second chapitre à une partie où les pions sur l’échiquier sont autant de clefs d’un même hôtel nous amenant à faire le pari de la bonne chambre d’amour.

Ces pièces potentielles résonnent en synergie avec le vide de l’appartement familial à vider après la mort des ascendants. A propos du chapitre intitulé Pitchipoï & Cousu main l’auteure nous rappelle qu’ « en langage codé, Pitchipoï désignait la destination inquiétante et mystérieuse des envois de déportés, quelque part à l’est de l’Europe, souvent Auschwitz-Birkenau ». Les objets ré-installés pour la prise de vue sont donc chargés de toute la dramaturgie historique du XXe siècle. Là encore pudeur et humour tiennent à distance tout pathos. A nous de replacer indices et traces les plus légères dans une destinée parentale heurtée de plein fouet par la Shoah. Les instruments et bouts de tissu cousus à la va-vite résistent avec toute leur force d’enfance au chagrin transmis et jamais éteint.

« Photographie de chambre, comme une musique » écrit Lydia Flem mais puisque tout est à rejouer tout objet dès lors qu’il fait image prend une dimension symbolique. Ainsi un mètre ruban en métal qui sort brutalement de son boîtier prend les dimensions magiques et inquiétantes du Temps froissé. Dans ces entrelacs on entend l’aphorisme de Jacques Prévert : « Des kilomètres de secondes à rechercher la mort exacte. »
Et pour le dernier chapitre le sens extraordinaire de la vie permet aux fils rouge et noir qui tressaient les scoubidous de notre enfance de se convertir sous l’objectif en un Opéra.

Ce livre grave et beau survole les objets au plus près de leur matérialité, il les tresse de mots et de phrases, pour mieux nous conduire à appréhender notre besoin de fiction comme une composante de la nature humaine, dont la création littéraire et photographique sont parties prenantes.