Madame – De pierre et de papier

38 rue de la Roquette Paris dimanche 14 février 2021 un peu plus de 14h. Madame et son assistante se hissent dans la nacelle de la plate forme élévatrice. Sur le mur préparé, fond bleu et affiche en noir et blanc, elles collent les dernières lettres d’un double aphorisme et, en un recouvrement minutieux, une nouvelle strate du collage.

Dans la perspective de la rue, le pan de mur en renfoncement se fait théâtre. Se met en scène un jeu subtil entre l’architecture singulière de l’immeuble et les points de vue. Il y a l’attente des spectateurs qui assistent à la performance et la surprise, la réaction spontanée des passants, un bouquet ou une fleur à la main.

En écho au M.U.R. (Modulable Urbain Réactif) Oberkampf, Madame inaugure, un jour de Saint-Valentin sous pandémie, l’espace d’imaginaire du M.U.R. Bastille, qui s’ouvrira, chaque trimestre, à la carte blanche d’un nouvel artiste.
Un couple enlacé, improbable. Les fragments du collage s’assemblent en une recherche anatomique qui puise son inventivité poétique dans les carnets de vignettes, les images d’Epinal, les gravures de revues et de magazines populaires. Ouvert au hasard des rencontres, le regard ému du spectateur s’accroche alors à tout un répertoire, des mythologies antiques au christianisme et au surréalisme. Dans la mise en abîme iconographique, tout semble symbole, sens caché révélé par un humour discret.

L’étreinte est tendre, le plaisir sensuel, entre animalité et pudeur. Une séduction réciproque. En toute confiance ? Peut-être pas. Elle, les yeux clos, appuie sa tête sur l’épaule de celui qu’elle entoure de ses bras ailés ; lui, de dos, le corps mi-félin mi-humain, contorsionné, le bras tendu vers le croissant de lune, observe. L’oiseau auréolé, comme les deux amants, est-il l’indice d’une métamorphose en cours de la femme ou le troisième personnage d’un couple hybride ? Ovide se réinvente dans la contemporanéité des corps percés de flèches d’où suintent les gouttes de sang d’un saint Sébastien d’aujourd’hui, homme et femme. Le syncrétisme du collage dissout la distinction entre le sacré et le profane dans un présent où l’absurde le dispute à l’espoir.

La scène se joue entière dans ses répliques. La phrase, à la typographie soignée, entame une danse avec le couple enlacé. De lectures en lectures, l’aphorisme – « Et l’on boira le calice jusqu’à la lie pour enfin se repaitre de la vie » – se charge de références proverbiales, religieuses et littéraires. En corrélation avec les matières du collage, les mots se prennent au jeu des sens, les éléments bougent, le sens se déplace, mêle en plusieurs discours à la beauté formelle le grossier et la finesse, le miel et l’amertume, questionne…
Un futur s’engage dans le temps du présent, prophétie à la sensibilité du passant, oracle d’un temps suspendu ou appétence à la vie, ode à l’évasion par l’amour et à la sensualité des corps contre l’interdit et la peur de l’autre ? Sans inutile nostalgie, l’équation, détournée et indéchiffrable, des mots et des images poétisent l’imaginaire d’une rue et d’un quartier appelés à réinventer, sans distance imposée, le rêve et la respiration de leur bal nocturne.