Mapping at last, the plausible Island : Des îles, territoires fictifs et réels

À la suite de sa première exposition à la galerie Éric Mouchet en 2016, Léo Marin propose une exposition centrée sur la notion d’île, territoire réel, de contradictions et d’imaginaires. Il réunit un ensemble d’artistes qui développent chacun une manière de traduire, d’inviter à percevoir et raconter un lieu.
À l’espace Topographie de l’art, il propose un accrochage qui implique un déplacement et une multitude de positions de la part du visiteur. Celui-ci est incité à prendre diverses postures pour saisir l’œuvre, parfois y participer et la modifier. Chaque œuvre est elle-même un monde à découvrir, à explorer et à décrypter.

Comment réinterroger la cartographie ? De quelle manière déconstruire son image pour aller au-delà des limites des médiums ? Dans quelle mesure l’espace géographique rejoint-il l’espace mental ? Telles sont les questions que soulève cette exposition.

Au sol, un dessin à la peinture blanche de Benoit Billotte s’efface au fur et à mesure des passages des visiteurs. Cette œuvre convoque le franchissement et la transformation des frontières. Au fur et à mesure de nouvelles lignes se dessinent. L’artiste interroge la matérialité même de la carte, son usage et son utilisation. Son œuvre exprime le souvenir d’un voyage, des déplacements, qui laissent une trace.

François Réau a réalisé une installation à partir de l’histoire d’un explorateur. Il met en relation le monde terrestre et le monde céleste. Au mur, un grand dessin à la mine de plomb suggère le passage du temps. Au sol, une carte, en mousse et autres végétaux se laisse découvrir en s’éloignant. L’artiste convie le visiteur à s’éloigner pour découvrir ce paysage recomposé.

À ses côtés dans un même rapport au sol, l’œuvre de William Gaye nécessite de prendre de la hauteur pour saisir le territoire exploré, révélé en images, un carré d’environ 10 kms de côté des alentours de la petite ville de Sonora, au Texas. L’exploitation intense des ressources naturelles locales, ici le gaz de schiste, a transformé la physionomie du territoire. Cette œuvre révèle l’invisible et comment l’image nous amène à dépasser les frontières pour comprendre l’espace.

Capucine Vever présente une œuvre à la fois graphique et sonore. Un alignement de cailloux, ramassées lors de randonnées et choisis pour la ligne de quartz ou de calcite qui les traverse, l’a incité à produire une bande son qui fait écho aux matières des pierres prélevées. L’artiste invite à un voyage sonore et à prêter attention à la géomorphologie des lieux.

Sur un mur, Aurélien Mauplot a rassemblé un ensemble d’une variété d’éléments liés à une exploration (végétaux, minéraux, peintures, photographies, cartes etc). L’œuvre peut se lire en trois parties. La première se consacre à une expédition menée par Pierre de Karcouët, qui a pour objectif de poser le premier pied français en Antarctique. Cependant, ils se perdent en mer, emportés par le courant de Humbolt et découvrent par hasard une île non mentionnée sur les cartes : l’île de Moana Fa’a’aro. La seconde se concentre sur deux missions en Antarctique (Commandant Lerouge en 1904 et Giulia Camassade en 2004). Enfin, la troisième partie de la composition rend compte de l’épique voyage autour du Monde de Giulia Camassade à bord de l’Antichtone (2004/2008), pendant lequel elle se rend sur le continent austral et redécouvre Moana Fa’a’aro. L’œuvre, par cet esprit naturaliste, fait écho aux cabinets de curiosité et incite le spectateur à tisser des liens entre les divers fragments pour se raconter un territoire. Chaque fragment de cette installation peut se lire tel un témoin d’un lieu découvert. De loin, cette œuvre ne serait-elle pas une carte ?

Face aux cartes de Christina Barroso, un renversement de point de vue s’opère. « Dans le cas du tableau « Brasil Global », j’ai inondé l’Amérique du Sud d’eau de mer en ouvrant une brèche sur le fleuve Amazone et, à une plus petite échelle, j’ai disposé le monde entier à l’intérieur du Brésil. J’ai grandi au Brésil dans les années 70, en pleine dictature, et j’ai toujours eu le sentiment que nous étions très loin du reste du monde. Dans mon travail, j’ai amené le monde au Brésil. » affirme l’artiste. Elle montre combien toute représentation cartographique dépend du centre d’où on se situe.

Pauline Delwalle et Sébastien Cabour ont reconstitué le phénomène de l’éclipse, événement lumineux, la conjonction d’un équinoxe de printemps et d’une éclipse solaire. L’équinoxe étant le moment où le jour et la nuit ont la même durée. Leur installation invite à prendre le temps d’observer le passage de la lumière en écoutant un enregistrement sonore. Immersive, celle-ci conduit à un voyage immobile et à saisir les spécificités d’un territoire.

D’autres artistes composent des dessins-sculptures, œuvres réalisées suite à des récupérations de matières. Les œuvres de Juliette Feck sont une constellation de résidus de voitures carbonisées, incendiées par la diaspora du crime dans les quartiers nord de Marseille. Ici, elles mettent en évidence la carte comme témoignage d’un état du monde. Les Totem d’Esteban Richard en plastique recyclé, acier, sont à la fois des signaux visuels et des indicateurs de l’état de pollution d’un territoire. L’artiste, tel un archéologue, condense en une pièce les nouvelles couches qui se sont accumulées.

La carte est aussi représentation mentale. Charlie Chine propose une œuvre participative qui engage le spectateur. Elle interroge la carte comme une compréhension de l’espace de chaque individu. Ici, Memoria constitue une base de données de cartes biographiques.

À travers cette exposition, des déplacements s’opèrent du réel à l’imaginaire, du connu vers l’inconnu, de la matière jusqu’à l’image, de l’invisible au visible. Elle sollicite notre envie d’ailleurs et nous conduit à déplacer nos habitudes de lecture du monde.