Le fort d’Aubervilliers s’ouvre cet été avec l’exposition de Marc Pataut. Le photographe, résidant dans la commune s’est beaucoup engagé au cœur de la ville et auprès d’habitants. Il bénéficie ici d’une carte blanche qu’il l’a amené à composer plusieurs rapports d’échelles entre le visiteur et ses images, aussi bien une relation intime qu’un travail directement sur la ville.
Des photographies agrandies au format de l’affiche ponctuent un parcours extérieur du fort. Ces portraits semblent nous interpeller, présences mémorielles dans ce lieu en transition. Ces visages témoignent de vies chahutées, d’une histoire à la fois individuelle et collective. Marc Pataut prend le temps d’échanger avec les personnes qu’il photographie, d’où le titre de l’exposition « Les images sont des mots ». Chaque photographie contient en elle cette relation si particulière qu’il entretient avec elles.
Au sein de la casemate, est présentée la série du « Cornillon-Grand Stade » (1994-1995), grâce au prêt de la collection départementale d’art contemporain de Seine-Saint-Denis, qui nous plonge dans les différentes rencontres avec les habitants qui résidaient sur le terrain avant la construction du Stade de France. Ses images reflètent une grande humanité.
Une série de photographies réalisées par des enfants à l’hôpital de jour est également à découvrir. « Infirmier-photographe », à mi-temps, il a donné des appareils photo à un groupe d’enfants souffrant de troubles psychotiques. Par les cadrages et les lumières, ces photographies reflètent une sensibilité et un attachement aux personnes qu’il rencontre.
Le cadre, le quartier du fort actuellement en mutation fait sens avec la démarche de cet artiste qui habite depuis plusieurs dizaines d’années dans la cité de la Maladrerie. Ses photographies y trouvent un lieu qui ajoute à la mémoire qu’elles transmettent. On découvre un quartier à la fois proche et éloigné, isolé de l’activité urbaine.
En parallèle, au musée du Jeu de Paume, l’exposition « De proche en proche » réunit un ensemble d’une quinzaine de projets qui couvrent presque quarante ans de travail, dans une scénographie qui nous met dans un corps à corps avec l’image. Marc Pataut a tout de suite eu la volonté d’investir toute l’architecture du musée avec un choix de différents formats pour créer un lien avec le corps du visiteur. Dès l’entrée, les portraits pris lors de son séjour d’artiste intervenant à l’hôpital de jour de Béziers sont agrandis au format de l’affiche. Marc Pataut attache une grande importance au fait que les personnes travaillent avec lui à leur représentation. « Comment dépasser l’identité ? Comment s’instituer comme individu ? » explique-t-il pour préciser sa quête du portrait. Une peinture de son atelier, réalisée par Yves Bélorgey, nous invite également à entrer dans son univers. Cette exposition nous plonge dans son intimité.
Le photographe et la commissaire ont volontairement ouvert la salle d’exposition en n’utilisant aucune cimaise. « L’exposition est un espace dans lequel le spectateur peut ressentir les choses » précise Marc Pataut. Les portraits de plusieurs époques sont installés à diverses hauteurs, créant comme des distances et des rapprochements : Aulnay-sous-Quoi ? (1990-1991), un travail réalisé avec une classe d’élèves de seconde d’Aulnay-sous-Bois à partir de lettres de lycéens résistants condamnés à mort en 1943 ; Emmaüs (1993-1994), des portraits pris à différentes distances de compagnons d’Emmaüs à Scherwiller en Alsace ; Humaine (2008- 2012), des portraits de trois habitantes volontaires de la ville de Douchy-les-Mines et une série de portraits réalisée avec six patients et deux soignantes du centre psychiatrique de jour Victor-Hugo, à Béziers, intitulée Figurez-vous… une ronde (2012-2016).
Pour chacun de ses portraits, il a instauré une confiance avec son modèle, allant au plus proche de lui, instaurant un dialogue pour le laisser venir et composer sa propre image. « Les images ont aussi de la durée » selon lui. Il se rapproche, isole la personne pour dépasser le corps social. Ses photographies présentent une matière qui rappelle l’héritage de son enseignement de la sculpture.
Des photographies de son propre corps Mon corps (1987-1989), lui permettent d’interroger ce que subissent d’autres corps. Marc Pataut isole les gens dans l’image, sur fond noir et s’en approche délicatement au fur et à mesure. Au-delà du portrait s’ouvre le territoire de cette personne.
Apartheid (1988-1989), une série de photographies sur panneaux de manifestations donne la puissance à la revendication. Dans des vitrines sont rassemblés plusieurs documents, planches contacts, extraits de magazines…
Comme pour nous plonger face un territoire qu’il a exploré et où il a vécu des expériences très fortes avec ceux qui y résidaient, les photographies de la série Laotil composent un grand mur. On découvre alors un paysage habité que Marc Pataut décrit ainsi : « La Haute-Île (Laotil) est un paysage fortement habité par la fin d’une histoire de la psychiatrie, par le SDF qui vit là, par le fait que c’est devenu un lieu douteux et qu’aujourd’hui c’est une base de loisirs du Conseil général. » Cette série témoigne du lien qu’il établit entre le paysage et le corps.
La deuxième salle est consacrée à ses différentes expériences d’exploration de territoires, des contextes où l’immersion l’amène à être dans un rapport d’intimité avec les personnes rencontrées.
Les photographies des habitants du Cornillon, lien entre les deux expositions, sont ici présentées en petit format sur tout un mur. Celles-ci constituent un album famille, un souvenir qu’il leur a offert. « J’ai compris qu’ils étaient sauvés par leur rapport à l’espace, au ciel, aux plantes et à la nature. Ils entretenaient un rapport d’intimité avec un territoire très vaste. » explique-t-il.
Dans la série de photographies Du paysage à la parole, un panorama sert de fond à une série d’images, tracts, traces de son expérience dans une cité du bassin minier du Pas-de-Calais. Derrière chacune, des paroles revendicatives de personnes rencontrées sont inscrites. Les visiteurs sont incités à prendre et à diffuser ces images, témoignages de ces morceaux de vie.
Nous pouvons également découvrir les engagements que l’artiste développaient au sein de plusieurs actions et collaborations. Avec le collectif Ne Pas Plier et le journal La Rue, il a invité des vendeurs salariés du journal à photographier leur vie quotidienne et ensuite à diffuser leurs images, éditées dans le média. Tel en témoignent les images et documents qui dévoilent la longue amitié qu’il eut avec l’architecte Antonio Loupassis, architecte d’origine grecque.
On est marqué par toutes ses vies d’individus que Marc Pataut transmet dans ses photographies. Au-delà de l’image, ce sont des relations tissées dans le temps qu’elles révèlent. L’artiste laisse parler les personnes et leur redonne droit de s’exprimer en étant avec lui les auteurs de leur propre portrait.
Ces deux expositions parallèles et complémentaires permettent de mettre en lumière un travail photographique d’une grande empathie où chaque image est emplie d’un temps long que Marc Pataut a passé à connaître les personnes dont il faisait le portrait. L’image photographique incarne un attachement passé à tisser des relations pour laisser aux modèles le soin de se construire sa propre identité.