Le 76 eme salon Réalités nouvelles est une réussite plastique sous l’intitulé programmatique « abstractions + ». Pour la quatorzième année notre revue collabore à leur action en attribuant un prix sous la forme de ce texte critique . Comme l’an dernier deux lieux principaux accueillent les 129 exposants , l’Espace Commines et le Réfectoire des Cordeliers. Des efforts particuliers ont été menés par Olivier di Pizio et les autres membres du comité organisateur pour simplifier l’accrochage et le rendre plus efficace au service des oeuvres. La galerie Abstract Pojet émanation du salon étaient accompagnée de 4 autres galeries partenaires (1)
Cette dynamique se manifeste aussi dans le choix de produire la scénographie en matériaux de réemploi avec La réserve des arts (pour une création circulaire et solidaire). Dans l’occupation des lieux à l’Espace Commines le comité sculpture a investi l’ensemble de la cave, au bout de ce parcours se trouvait la superbe installation d’Isabelle Doblas-Coutaud Montagne intérieure. Cet ensemble de petites sculptures en céramique sont organisées au sol en un message réalisé en code braille. Autre travail sculptural singulier les Cheminements #1 de Darko Karadjitch composés de bois de cerisier en suspension au dessus d’un égrènement de sable et chaux ont reçu le prix Arts Hebdo Media.
En lien à la jeune création le bureau invite 4 étudiants diplômés d’écoles d’art françaises. Yanis Khannoussi l’un d’entre eux diplômé de l’ENSBA à Paris qui a réalisé une imposante sculpture peinte Objet Monolithique #3 a reçu un prix d’un autre partenaire l’Officiel Galeries & Musées. Sorti de la même école supérieure c’est aussi à une recherche mêlant les deux et trois dimensions du geste pictural que se consacre avec énergie Louis Meyer. Un autre aspect de ces recherches autour de l’abstraction contemporaine se poursuit dans les liens arts et sciences avec le collectif Percept-Lab qui réalise son installation Le mètre étalon du déplacement de l’ombre au milliardième de la vitesse de la lumière. Ce travail exigeant a été reconnu par le prix Art Absolument attribué par notre collègue Pascale Lismonde. Si cette pièce rendait hommage à l’histoire des recherches du domaine les nouvelles technologies étaient présentes avec la très prégnante pièce de John Francis Blue Yellow Stripes ( microprocesseurs, leds et acier ).
La photographie est bien récompensée avec Eric Petr qui a obtenu le Prix du Quotidien de l’art pour ses graphiques Variations de lumière. J’ai été quant à moi très intéressé par l’oeuvre de Marcel Crozet No Frame, d’où ce prix lacritique.org.
Marcel Crozet est un photographe du motif qu’il le traque dans ses voyages , le cerne sur différentes surfaces urbaines ou l’emprunte à différents artistes et architectes. Toujours actif sur le terrain le temps de la prise de vue est essentiel dans son travail , la prévisualisation de l’oeuvre s’y met en place.
En choisissant pour une de ses séries Tribute de réactiver en hommage une sculpture monumentale d’Émile Gilioli située sur le plateau des Glières en Haute Savoie il se place dans une lignée qui l’a conduit à exposer à plusieurs reprises à Réalités nouvelles. En effet Émile Gilioli (1911- 1977) est l’un des représentants de la sculpture abstraite française des années 1950 qui a exposé dans le même salon en 1947. A propos de ses sculptures il déclarait « La matière polie est plus dense, plus tendue donc plus rigoureuse. Et en même temps les plans sont lisses, la lumière glisse sur leurs pentes nettes et les caresse. » Sa double prise de vue se fonde sur ces surfaces pour créer ce qu’il nomme des Paysages auxquels il attribue un simple numéro.
Utilisant le même dispositif de l’exposition multiple il produit sa série Pandora sur le site des Gardens by the Bay de Singapour. Il s’attache notamment au Supertree Grove, un ensemble de 18 structures métalliques hautes de 25 à 50 mètres recouvertes de végétation. Il en accentue l’aspect fantastique par des prises de vues nocturnes et un maillage des structures. Combinant des distances focales diverses une des images redonne un sentiment de dimension grâce à la présence lisible de visiteurs. Cette série prend toute sa force grâce à une grande maîtrise d’une palette de couleurs électriques.
C’est au contraire en noir et blanc qu’il réarrange en image une oeuvre du sculpteur américain John Bisbee The Spool. Cette bobine il la ressent comme un vortex qui désigne un mouvement tourbillonnaire de fluide ou de particules. Composée de milliers de clous soudés comme l’ensemble de ses réalisations d’American Steel cette sculpture se trouve au Snite Museum of Art (Notre Dame,USA). L’interprétation qu’en suggère le photographe nous conduit à une forme plus architecturale d’entremêlements métalliques.
D’autres images plus singulières qu’il réunit sous le label Abstractions naturelles reposent sur l’observation des surfaces de différents matériaux et supports principalement urbains. Il actualise des paréidolies, ces sorte d’illusion d’optique qui associent un stimulus visuel informe à un élément identifiable. L’image ainsi produite notamment par recadrage se regarde généralement en solo avec un titre qui lui est propre. Quand il les réunit en triptyque cela donne une oeuvre murale de très grand format comme Célestia visible aux Nations Unies à Genève dans un accrochage permanent. D’autres rencontrées dans des friches industrielles, des casses, des chantiers inachevés, jouent des confusions de dimension sous forme de fausses vues aériennes prenant un caractère cartographique.
L’élaboration de l’oeuvre exposées cette année au réfectoire des Cordeliers est plus complexe même si elle reprend divers protocoles propres au photographe. Il dit en avoir eu l’intuition au Musée lyonnais de l’Illusion. Il y a ainsi apprécié le mode de création in situ de Georges Rousse. Il a eu le désir de reprendre le principe de la perspective inversée. Héritée de l’icône byzantine ses lignes de force vont de l’intérieur vers l’extérieur. Dans une ancienne marbrerie un morceau de bois resté sur une disqueuse va lui fournir les lignes et rendus de profondeur dont il a besoin pour créer une illusion de mouvement. Le passage au négatif déréalise l’ensemble pour un voyage vers un cinétisme photographique. Si cette oeuvre rejoint les recherches picturales du britannique Patrick Hughes nommées « Reverspectives » elle se garde de leur aspect pop ou surréaliste en poursuivant la quête longuement menée d’une abstraction contemporaine.