Martine Aballéa se revendique plasticienne dans l’usage des différents supports et techniques qu’elle met au service de ses installations où l’image , la lumière et la couleur sont fondamentales. Écritures et sons s’y ajoutent à l’occasion pour contribuer à l’édification d’ un univers d’une haute singularité poétique.
L’artiste souhaite susciter la sensibilité et le pouvoir du spectateur à imaginer, à prolonger images et espaces dans leurs potentiels oniriques. Photographie et texte ont d’abord constitué des sortes d’affiches pour des films à inventer. On peut les lire comme des haïku imagés « Onze heures de l’après midi. Une femme est transformée par un rendez vous manqué. ». L’auteure y déploie invites et mises en garde pour un visiteur prêt à s’engager dans une rêverie qu’elle souhaite susciter : « Venez au Jardin Sombre, C’est plus facile que vous ne pourriez le penser. » Les textes ne restent pas titraille ou légende ils prennent corps pour des expériences humaines plus singulières, les cinq sens y sont souvent convoqués. Des adjuvants notamment liquides sont inventés pour faciliter l’entrée dans cet univers à partager. Des flacons étranges aux étiquettes suggestives contribuent à forger cet étonnant lieu qu’est L’institut liquéfiant (1994). Chaque oeuvre qui en évoque les actions possibles ainsi que les dangers à y éviter pour que le corps soit maintenu dans son intégrité développe une alchimie sensuelle. Le sommeil est un de ces effets de transformation du corps, pourvoyeur de rêves. L’artiste crée donc son Hotel Passager (1999) et invente parallèlement de nombreuses chambres en se faisant styliste pour toutes sortes de couches aussi incitatrices que colorées.
Les premières oeuvres recouraient à un noir et blanc colorisé qui évoquait les débuts de la photographie et de la carte postale. Puis ses couleurs sont électrisées par la nuit comme par une lumière diurne tout aussi irréelle, Les teintes acidulées sont satures, au vert extrême d’une nature omniprésente y compris en intérieur répondent les violets, les roses et leurs stridences quasi charnelles. Les matières des tissus sont riches, douces au toucher, notre regard se noie dans les satins, les soies, et autres tissus nobles. En effet si le corps est absent ses substituts sont nombreux, à côté de ces textiles il peut s’agir aussi de paysage pour évoquer dans My secret Life of Crime les Amants Assassinés, comme ce ruisseau champêtre en couleurs pour « Celui qui m’a oubliée » ou cette maison en négatif noir et blanc, rare vue de l’extérieur pour rappeler « Celui à qui je pense souvent » appartenant aux Amants Fantômes.
L’ambition de constructrice se développe justement pour passer de la chambre à la maison. L’architecte d’intérieur met en oeuvre d’autres pièces de vie. Elles peuvent être simplement réduites à des lignes lumineuses de couleur, entre bâti crayonné et plans d’appartement témoin, Luminaville. Elles peuvent au contraire se réunir pour former La maison d’en dessous : »Un jour on se rend compte que dans l’ espace vital qu’on croyait connaître il existe une porte qu’on n’avait pas remarqué, ou alors on l’avait oubliée depuis déjà longtemps. » Cette capacité à activer le doute chez le visiteur des expositions joue donc d’une sorte d’inconscient de l’espace, d’autres dimensions secrètes déjà expérimentées dans La maison sans fin (2012).
Dans les oeuvres les plus récentes nous sommes encore en intérieur suite à une commande pour l’immeuble parisien du Ministère de la culture et elles nous invitent à Accompagner le regard de l’artiste tourné vers les fenêtres. Ciel et arbres s’y encadrent, appelant à de nouvelles occupations qui correspondent aux activités ministérielles. Dans un triptyque elle nous propose d’Editer/Diffuser/Informer, ainsi un jardin se profile , il semble pouvoir abriter Le Musée des Amours, ses épisodes tendres et son épilogue . Nous pouvons quitter les lieux sur la pointe des pieds pour laisser l’artiste avec Celui qui la distrait ou juste occupée à de nouveaux projets Acquérir/Récoler/Restaurer.