Mathilde Monnier et ses collaborations avec des plasticiens

A l’occasion de la représentation à Orléans de son spectacle « Records » Mathilde Monnier répond à nos questions orientées sur ses diverses collaborations avec des créateurs du cinéma, de la photographie , de la peinture ou de la performance. Elle évoque aussi son commissariat participatif avec un groupe de patients d’un service en hôpital de jour qui aboutit à Sérignan à l’exposition « Un Musée à soi ».

Christian Gattinoni : Pour l’édition du livre Allitérations en 2005 avec Jean Luc Nancy vous complétez votre dialogue avec le philosophe par la participation de la cinéaste Claire Denis qui a réalisé cette même année le film vers Mathilde, quel a été son rôle ?

Mathilde Monnier : Claire je la connaissais depuis plusieurs années. Elle avait auparavant réalisé un portrait du philosophe titré Vers Nancy. Celui qui m’est consacré a donc logiquement trouvé son titre Vers Mathilde en écho. Pour sa réalisation la photo en a été confiée à Agnès Godard qui s’intéresse aussi beaucoup à la danse. Nous appartenons au même réseau d’amitiés, de travail et de rencontres. La présence de Claire Denis dans le livre manifestait cette complicité et c’est pourquoi quelques unes de ses images viennent l’illustrer.

Christian Gattinoni : Entre danse et arts plastiques comment s’est fait votre collaboration avec La Ribot pour Gustavia qui revisite la performance à l’aune d’un burlesque au féminin ?

Mathilde Monnier : La Ribot n’aime pas être qualifiée de performeuse, elle se définit comme danseuse et chorégraphe , ce qui est aussi mon cas. Gustavia est une pièce très construite , stable, reposant sur une progression dramaturgique. C’est une pièce un peu classique qui repose sur les constantes du théâtre, rideau , noir , talons …. La pièce est millimétrée comme l’est le burlesque. Elle présente un corps acrobatique, un corps de l’échec, avec la chute, les coups, la répétition comme on en trouve chez les clowns. Confronté à plus grand que soi, ce corps reste très humain mais drôle , façon Keaton au féminin.

Christian Gattinoni : L’une de vos principales collaborations avec un plasticien a donné lieu aux deux versions scène et installation de Soapéra avec Dominique Figarela ? Quels sont vos rapports à la peinture et à ce peintre en particulier ?

Mathilde Monnier : Soapéra propose au début une sorte de toile blanche faite d’une matière en volume , qui évoque aussi le sein de la femme, pour signifier un monde nourricier. Ce monde est ensuite travaillé de l’intérieur , la présence plastique des danseurs créant des métamorphoses ; un transfert a lieu de leur présence aux formes de l’espace. Face à ces sortes de test de Rorschach en blanc le spectateur peut imaginer ses propres formes.

Ce que j’aime chez Figarela c’est qu’il a une vraie pensée sur son travail, qu’il développe un chemin de réflexion humaniste . Ce qui est remarquable c’est comment le corps du peintre est toujours présent, quand il peint au sol et cherche les traces de sa présence même si la peinture semble abstraite. Et puis plus récemment j’apprécie aussi l’incursion du langage, des mots dans sa peinture.

Christian Gattinoni : L’investissement le plus intense est actuellement jusqu’au 19 mars 2023 au MRAC Musée régional d’art contemporain Occitanie / Pyrénées Méditerranée, à Sérignan Un musée à soi accrochage participatif entre une chorégraphe et un groupe de patients de l’hôpital de jour de Béziers, le groupe Art. 27. Plus de 25 artistes de toutes disciplines y sont présentés.

Mathilde Monnier : Ces patients psychiatriques en hôpital de jour pratiquent le Musée depuis 7 ans dans le cadre d’un article de loi parlant du droit à l’accès à l’art pour tous. Pour ce projet mené sur deux ans j’ai découvert la collection avec eux. J’ai décidé d’y associer Dominique Figarela, comme il a horreur d’imposer une thématique nous avons travaillé à partir de leur regard subjectif. Il s’agit d’une belle collection comprenant des artistes de la région mais aussi des oeuvres diffusées nationalement. Nous avons choisi des artistes vivants pour qu’il soient mieux impliqués, notamment à travers des échanges épistolaires. Chaque oeuvre retenue a fait l’objet d’une discussion. Il a été question aussi de réfléchir sur ce que c’est d’être curateur, d’autant qu’en psychiatrie il s’agit d’une sorte de police qui vient régler votre vie. Nous avons choisi le titre Un Musée à soi parce qu’en dehors du dialogue que les oeuvres entretiennent entre elles , chacun peut retrouver un musée personnel. Nous avons choisi des oeuvres de toutes disciplines pour une meilleure occupation de l’espace.

Christian Gattinoni : Pour évoquer votre pièce Records présentée ici à Orléans j’aimerais revenir sur une autre expérience de danse du corps nu le livre MW réalisé avec la photographe Isabelle Waternaux paru chez POL, qui a photographié l’ensemble d’un solo de 2 heures pour affirmer une naturalité du corps ?

Mathilde Monnier : Le studio où elle m’avait invité n’était pas très grand, il pleuvait fort, il y avait une certaine tension, nous ne nous sommes pas parlé, elle était calme et concentrée, j’ai donné mon solo en continu pendant qu’elle photographiait. C’était un face à face , pas une complicité. Quand le corps fonctionne plus sur lui-même, se manifestent les espaces intérieurs du corps sans qu’il soit sexualisé.C’est un moyen de déplacer la sexualité. Dominique Fourcade dans son texte a raconté cette séance, il a fait sa propre fiction comme il aime la photographie.

Records a été un moyen pour moi en tant que chorégraphe de développer avec six danseuses dont quelques unes nouvelles un projet de nudité, reposant sur le concept du haut du corps nu, comment le montrer ou pas . Il n’a pas du tout le même statut que celui du corps masculin. Nous avons travaillé pour ne pas qu’elles se sentent instrumentalisées en tant qu’interprètes. Nous avons partagé ce cheminement dans cette pièce créée après le confinement ou le mur symbolise le covid. Elles interviennent devant , dans un jeu entre l’intérieur et l’extérieur incarné par une projection de ciel orageux.

Pour conclure je peux reconnaitre me sentir très proche des plasticiens à cause de la question de l’espace, la façon dont ils savent produire un espace, notamment quand ils gèrent une installation, cela permet de mieux comprendre un espace plus qu’un simple objet.