Paul Verlaine trouve pour Arthur Rimbaud ce surnom poétique, mélancolique et nous connaissons l’histoire tragique qui se cache dans le souffle de ce vent maudit qui emporta Rimbaud. Nous avons ajusté ces mots en citation pour rendre hommage à la poésie et aux artistes errants, voyageurs, explorateurs de mondes bigarrés et envoutants, étranges, passionnants. Parmi eux Maureen Ragoucy : née en 1984, diplômée de l’École Européenne Supérieure d’Art de Bretagne. Son travail documentaire, souvent présenté sous forme d’installations, mobilise aussi bien la photographie, la vidéo, le texte que la création sonore. Ainsi elle présente son travail : « Par le dialogue et l’écoute, je cherche à établir une relation de confiance avec les personnes que je rencontre, pour nourrir ma réflexion sur les différentes formes de l’exil, les identités plurielles et les héritages historiques, linguistiques, sociaux ou culturels. Mon travail a fait l’objet d’exposition en France et à l’étranger… puis la liste de ses lieux d’exposition : l’ile de la Réunion, le Vietnamese Women’s Museum au Vietnam et Musée d’Aquitaine en 2023, Musée d’Art Moderne de Kyoto et Maison de la Mémoire en 2022, etc. Elle voyage, elle produit une œuvre qui sort de soi, une perspective limitée pour « rentrer » dans des moi proches, ainsi faire parler tout ce qu’il n’a pas d’immobilisation mais, fluide, se mute en vision de l’intime entre vérité et fiction. À l’aide de signes riches de signifiants, au fond des apparences qui se présentent à la perception et où l’inconnu est à l’ordre du jour dans son travail. Devant nous des fragments du moi de l’Autre, réunis dans une sorte de spectaculum – observation du monde dans sa totalité mais ici ou là, d’une culture à l’autre. La description se présente sans interprétation car il n’existe pas de narration sans s’abandonner à l’existence de l’autre, oubliant soi-même comme dans un sommeil aux yeux ouverts ; une rêverie de flâneuse baudelairienne dans un lieu d’échange d’expériences, un espace clos mais ouvert aux trafics de signes. Un enclos mental de respiration réciproque où l’artiste ouvre son processus dans un espace ouvert d’engagement même civique ; une finalité collective de témoignages, sorte d’exemplum où l’autre s’engage dans une narration que l’artiste traduit en images, sons, paroles. Le tout en arrêt sur écran. Ici la narration de l’écriture photographique ne doit pas se prêter aux ambiguïtés mais revêtir le masque du témoignage, de « jeu » de mémoire individuelle ou collective à l’apparence d’un authentique récit d’histoire. Nous assistons à la description des usages et des mœurs sous forme de rêves des collectivités, d’individus, souvent des femmes, qui ont vécu ou songe d’avoir vécu. Ceci en exploration ethnographique ou archéologique pour faire vivre des fragments inconnus et paradigmatiques qui se soumettent à l’interprétation des spectateurs mais qui sont l’œuvre de l’artiste passeuse via le respect. Un effort d’éthique. Avec un regard bienveillant, en empathie. Les voyages de l’artiste ne sont pas fils de l’évasion de la réalité mais d’un choix qui reprend les narrations d’antan quand les communautés et les individus réunis au tour d’un colporteur retrouvaient la perception de leur identité ; une ancienne habitude, une pratique voir rituelle, magique, sciamanique. L’artiste crée des merveilles ou le merveilleux par la magie des images et des voix. Son voyage est de l’âme et le voyage du corps se produit sans affectation, sans peur vers l’inspiration et l’inconnu accepté du monde. Notre « flâneuse » marche à pied symboliquement seule. Pour la joie des rencontres, elle donne tout d’elle dans l’imprévu, l’inconnu qui se présente. Ceci dans une solitude non exhibée, pour jouir des découvertes parfois même pas cherchées mais provoquées par l’esprit du chercheur enfin libre de l’hybris de l’interprétation. À part les outils techniques bien maitrisés, son travail se développe avec l’outil de l’ironie ou distance. Poussée par la curiositas, jadis péché capital désormais domaine de la science ou l’art. Ainsi même Maureen Ragoucy peut bénéficier d’un surnom lié au vent, celui très ancien de « SPIRITUS PHANTASTICUS » sans lequel l’exploration du monde se prive de son lien fort avec l’imagination. Dû à l’empathie, puis à la recherche du « nouveau » et d’un dialogue avec le passé via le monde actuel.
Un exemple : Retour sur le pays noir. La série photographique est initiée en 2012 à Liévin, dans le Bassin minier, auprès d’enfants de sept et huit ans (cf. Le pays noir). Dix ans après, ces enfants sont devenus de jeunes adultes. Afin de garder une forme d’unité et une cohérence avec la série photographique antérieure, une partie du dispositif reste le même : chaque adolescent choisit un lieu auquel il est attaché, choisit sa posture, sa tenue vestimentaire et crée sa propre mise en scène. Le dispositif photographique tente de saisir l’essence de cette génération, ses préoccupations présentes et futures. À travers la représentation de ces jeunes dans leur territoire, les portraits invitent à comprendre de quelle manière on s’affirme en tant qu’adolescent et comment l’héritage familial et la mémoire des lieux peuvent influer sur notre identité et nos choix.
Retour sur le pays noir confronte ainsi les stigmates du passé et les rêves d’enfance avec les réalités d’aujourd’hui et les attentes pour demain et propose une réflexion sur les héritages du Bassin minier transmis et sur les métamorphoses d’une mémoire collective vivante.
Elle explique : « Au cœur du processus de création, et selon une méthode de travail formelle et rigoureuse, les règles que je m’impose constituent des prétextes à la rencontre, dont l’appareil photographique, l’enregistreur ou la caméra servent de passeport. Par l’écoute attentive, j’instaure une relation de confiance avec mes interlocuteurs. L’objectif isole le regard de l’autre, sa particularité, sa singularité, son originalité, quand l’enregistrement sonore relève de l’invisible, de l’hors-champ. Ce qui m’anime, c’est de faire dialoguer les images avec les récits que je recueille. Donner la parole, comme un geste porté par la nécessité de comprendre et de dire.
D’abord à des inconnus dans la rue en France. Puis en Espagne où, étrangère, je découvre le grand nombre d’immigré(e)s latino-américain(e)s, et prend alors conscience que ma propre extranéité peut nourrir ma relation avec d’autres étrangers. Se reconnaissant peut-être en partie dans mon regard, ces étrangers se confient. Je poursuis mon travail au Mali pour comprendre l’histoire de la reconstruction familiale entre un jeune homme exilé en France et sa famille restée au pays (Famille Gassama, 2009), au Sénégal pour recueillir le récit d’une aventure migratoire vers l’Europe (Barça mba barzakh?, 2009) puis auprès des japonais du Brésil (Liberdade, 2011), des afro-brésiliens du Bénin (La porte du retour et Bourian, 2015, 2020) et aux Canaries, trait d’union entre l’Afrique et l’Europe, pour recueillir la parole d’exilés ouest-africains (Le chant des vagues, 2020).
Mon approche est souvent multiple – installations, photographies, enregistrements sonores, livres, vidéos et parfois documents d’archives, combinés selon des formes variées – dans une volonté de construire des récits où j’interprète le réel qui oscille entre rêve et réalité, mythe et désillusion, fantasme et vérité.
En tant qu’artiste, j’associe systématiquement l’autre en tant qu’acteur de ma démarche, lui donnant la possibilité de se raconter, se remémorer, se confier, s’abandonner et aussi de prendre position, se mettre en scène, s’épanouir. Ma démarche crée des troubles entre le récit singulier et l’histoire collective, entre l’expérience collective et le souvenir individuel »
« Je ne suis pas un héros, j’aime voyager, je cherche des trésors… » (Hugo Pratt Corto Maltese’
Née en 1984 à Paris, le travail de Maureen Ragoucy se déploie entre photographie documentaire, vidéo et installation sonore et visuelle et s’intéresse aux différentes formes d’exil, aux héritages culturels et familiaux et aux identités plurielles. Le portrait est au coeur de sa démarche artistique dans sa vocation de documenter le réel qui oscille entre rêve et réalité, mythe et désillusion, fantasme et vérité.
Son travail a été exposé en France au Musée d’Aquitaine, aux Archives nationales, aux Champs libres, au Musée de l’Armée, au Musée International de La Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (Genève, Suisse), au Musée de l’Armée, à la Maison natale Charles de Gaulle, à la Réunion et à l’étranger au Musée d’Art Moderne de Kyoto (Japon), au Vietnamese Women’s Museum (Hanoi, Vietnam), à la Biennale de photographie de Cusco (Pérou) et fait partie des collections du Musée de l’Histoire de l’Immigration.
Le site de Maureen Ragoucy