Maurice Pefura est un artiste né en France de parents d’origine camerounaise. Il a fait toutes ses études en région parisienne. Il a poursuivi celles-ci par une formation d’architecte qu’il n’oublie pas lorsqu’il se consacre, comme c’est le cas depuis plusieurs années, à un travail plastique varié : peinture, sculpture et d’installation. Précisons encore pour situer l’aspect international de sa carrière qu’il vit depuis quelques années entre la France et l’Italie (Milan) et que c’est à New York que nous l’avons rencontré à l’occasion de son exposition personnelle dans la Skoto Gallery (Chelsea, jusqu’au 16 mai 2015).
Sur les cimaises de la galerie ont été disposées de grands panneaux de papier de 2,90 sur 3 mètres travaillés à l’encre, à la peinture, avec l’adjonction sur certaines parties de collages issus de magazines. La surface des œuvres est structurée par les verticales et horizontales qui installent chaque fois une grande grille. Celle-ci divise l’étendue en multiples quadrilatères présentant chacun un caractère singulier. Par un travail spécifique, chaque case devient une petite œuvre. C’est répétitif et pourtant sans monotonie puisque chaque fois différent. S’il y a globalement une alternance de surfaces claires et sombres, pourtant aucun des pseudo carrés ne reste blanc ou devient complètement noir.
Bien au contraire, lorsque le spectateur s’approche des détails, son œil explorateur s’intéresse à une forme graphique bleue ou blanche présente dans la majorité des quadrilatères un peu sombres. Disposées chaque fois différemment c’est une forme en simple π ou avec un jambage supplémentaire. Mon interprétation est que ce graphe en nombre pi pourrait signifier l’association de la constance mathématique et de l’approximation artistique. Par dessus tout ce signe, comme celui de Motherwell dans la série Open, suggère la présence de portes ou fenêtres. Cette évocation d’ouvertures confirme l’impression première : on se trouve face à de grands ensembles architecturaux de type banlieue avec ici ou là une tache de couleur vive, indice de présence humaine.
Dans ces œuvres comme dans d’autres, Maurice Pefura fait se rejoindre la collection et le collectif. Chaque quadrilatère est individualisé et pourtant il se perd dans la multitude dès que l’on s’éloigne afin de retrouver une vision d’ensemble de l’œuvre. On apprécie alors la frontalité générale, alors que de près on aime se perdre dans les multiples profondeurs fictives.
Bien entendu cette réalité plastique évoque également une réalité sociale mais sans aucune insistance. Les résonances s’avèrent multiples. Les interprétations des regardeurs restent libres. Si de loin les espaces destinés semblent se relier à des architectures concentrationnaires, lorsqu’on s’approche la présence d’éléments publicitaires issus de magazine et collés sur le support peuvent évoquer d’autres types d’architectures. On peut penser à l’étagements des bidonvilles, ces architectures à facture humaine, ou encore en cernant quelques détails colorés à des « maquis » ces restaurants africains où la végétation luxuriante se mêle aux publicités.
Une des caractéristiques du travail de l’artiste, pour cette série de pièces du moins, est de créer des paradoxes en unissant l’urbain à la nature, ou en associant une grille structurante avec une utilisation informelle de la peinture. Le peintre maîtrise parfaitement les caractéristiques de cette dernière. Il tire d’heureux partis de la liquidité qui occasionne, du fait de la gravité, de multiples coulures ; ces autres verticales souples et hasardeuses animent (donnent une âme) aux compositions. Les superpositions de nappages colorés ou sombres installent des effets de matières qui permettent des passages (comme dirait Cézanne) entre les quadrilatères. Le regard peut circuler partout et l’amateur ne s’en prive pas. Il faut admirer le beau toucher de la couleur liquide de Maurice Pefura. Il sait du bout du pinceau conduire la matière picturale légère afin de lui donner forme. La matière liquide promenée dessine parfaitement les figures en équilibrant les forces internes et externes. Cela se vérifie dans le travail des grands panneaux mais aussi tout particulièrement dans de petits dessins accrochés dans le bureau de la galerie comme Périphérique IV (34,3x33cm).
Le titre de l’exposition est rédigé en français : Nos Voyages Immobiles. Il correspond à une autre série de pièces volumiques cette fois. Il s’agit de petites valises réalisées en carton ondulé. Le creux de la valise contient une petite sculpture tandis que l’intérieur du couvercle reprend, en plus petit, la grille architecturale picturalisée des grands panneaux. Une autre sculpture trône au milieu de la grande salle : The Father of All Ours Fears, 2015 est une tête très simplifiée proche d’une tête de mort. Elle est constituée de multiples petites têtes en polyuréthane semblables à la grande. La couleur rouge domine mais pour le dessin des yeux, des narines, de la bouche et des dents l’artiste a eu recours à des têtes noires et blanches. Bien que haut seulement de 76 cm, l’ensemble est impressionnant.
Comme on le voit Maurice Pefura a plusieurs cordes à son arc. Les différentes formes artistiques qu’il pratique sont l’occasion de la mise en place d’un dialogue entre des systèmes plastiques conduisant à des évocations d’espaces réels et oniriques. Son art polyculturel s’appuie souvent sur des évocations de souvenirs personnels qu’il se propose de partager avec une communauté humaine élargie. C’est beau, poétique, généreux et bien fait.