Mehdi Meddaci , un jeune artiste méditerranéen face aux technologies

Mehdi Meddaci produit des video en installation et des films, concernant sa double culture franco-algérienne, il fait ici le point sur son parcours et ses liens à la technologie dans une perspective engagée, en recherche d’une identité.

Comment définissez vous votre pratique ?

Je revendique mon action dans des domaines de prédilection comme la photographie ou le cinéma même si au départ j’ai fait des études d’arts appliqués où le dessin était primordial. Je suis intéressé par le réel, les leurres trop proches de la vie , c’est pourquoi photographie et cinéma me permettent de rester dans des limites fines. Ce qui m’importe avec ce type d’outil c’est à la fois de créer des temps pour la monstration et travailler aussi les objets du décor dans lesquels je tourne qui deviennent des sculptures.

Quels apports ont eu vos études ?

Elles ne m’ont pas apporté en tant qu’artiste mais plus en tant que personne. A l’Ecole Nationale Supérieure de la Photographie d’Arles j’ai éprouvé beaucoup de satisfaction et de liberté. Au départ mon projet était très flou, je n’avais jamais eu le temps de me poser pour l’approfondir. Etant proche du quartier de la Paillade à Montpellier , où vivait ma grand-mère, j’ai pu l’envisager dans son caractère très social, très familial, en rapport avec l’Algérie, pour approcher une origine qui me manquait. Dans d’autres lieux d’étude j’aurais été confronté à des attentes d’école, au sens traditionnel, alors qu’à Arles je me suis trouvé libre d’aborder ma pratique avec des propositions formelles qui m’ont permis de travailler le « réel » par le photographique et de passer mon diplôme uniquement avec une installation vidéo.

Au contraire le studio national du Fresnoy m’a apporté la distance, cela a été difficile au début, d’autant que je venais de perdre ma mère quand j’y suis arrivé. J’ai eu besoin d’être loin pour faire un film il est intéressant de voir comment avec la distance çà fait forme et écho. Au Fresnoy il y a avait des outils très performants et un encadrement technique. En même temps cette forte partie technique entraine une lourdeur budgétaire quant à la production. J’ai un certain rapport barthien à la création, Je trouve qu’on a récemment trop écarté le sensible en tant que pensée. J’essaie de construire mes créations autour de cette équilibre, une pensée, l’idée de s’en souvenir, une vidéo.

Alors que vous veniez juste de sortir du Fresnoy vous avez trouvé une galerie,

En fait Odile Ouizeman est venue me trouver, elle a passé quatre heures à regarder mes vidéos, à parler du travail et elle m’a proposé une exposition, où j’ai pu mettre les pièces que je voulais. C’est une petite galerie et c’est dur pour elle, mais elle n’a pas peur de montrer de la vidéo, elle ne s’adapte pas au marché mais l’anticipe. L’acte de collectionner de la vidéo va se développer en France. Que l’on considère par exemple le temps qu’il a fallu à l’art conceptuel pour s’imposer. A Docks Arts fair pendant la dernière biennale de Lyon on a montré une vidéo dans mon solo show. Une photo a été achetée par la ville de Lyon. En terme de contacts beaucoup de gens ont vu mon travail ces derniers temps. Je suis habitué à bosser seul et de ce fait tout cela ne va pas vite, que je montre de la photo ou de la vidéo je souhaite être précis.

Comment êtes vous arrivé en résidence au 104 à Paris ?

Je n’envoie pas des projets partout, à l’époque il y a deux ans, il m’était impossible d’avoir un espace de travail sur Paris, or ce lieu est situé dans les quartiers nord que j’aime, j’ai déposé un dossier de candidature qui a été retenu. J’y croise des visages et des situations qui m’intéressent. Ensuite j’ai fait beaucoup d’interventions auprès de différents public en montrant des extraits de montage, j’ai eu le temps et l’opportunité de faire cela. José Manuel a compris les obligations d’une production longue et m’a donné le temps pour finir mon travail et le présenter dans Temps d’Images notamment en cette fin 2011.

Une de vos dernières pièces existe au moins sous deux formes ?

Oui la première version de Tenir les murs comportait cinq écrans. Je ne me confronte pas à une linéarité directrice, je travaille beaucoup plus en corail, en réseaux de questions et de pensées . J’ai créé des blocs de temps dans lesquels les gens peuvent circuler. Ce qui m’intéresse c’est le mode de réception, face au flux dans lequel son regard est emporté j’aime ajouter le détail qui s’active pour que le spectateur puisse prendre le temps de comprendre ce qui se joue.

La version film de 56 minutes coïncide avec ma décision de faire du cinéma, plus seulement de la vidéo, c’est à dire de m’inscrire dans un schéma social, entamer une production, avec un budget validé par des sociétés, privées ou institutionnelle comme le cnc. Je vise la salle parce que je veux atteindre le peuple. Les lieux forgent la réception, la question qui se pose pour moi est comment l’artiste peut-il prendre sa place dans la société. La véritable question est là : comment la culture apparait dans la ville pour tout le monde, il y a là un acte politique à faire. Ce qui m’intéresse dans l’accès à la salle c’est de faire des rencontres, d’ouvrir ce sens de réception des gens.

Est ce aussi pour cela que pour Tenir les murs vous avez opéré un casting, de quelle façon ?

J’avais d’abord proposé un film au cnc à partir de trois fois rien d’une idée exprimée en trois vers. Quand il a été accepté j’ai voulu travailler sur les lieux de la mise en scène, sur la question du visage j’ai choisi deux acteurs d’origine algérienne qui avaient été un peu vus, pas des stars. Reda Kateb venait de faire Un Prophète même s’il n’était pas le personnage principal et Ouassini Embarek c’est une très belle personne il avait joué dans Nuit noire, enfin Abdelhamid Aktouche interprète mon père fictionnel. A part eux tout le reste étaient des gens rencontrés sur les lieux de tournage près du 104 et sur le pont. C’est ainsi que j’ai réalisé ce passage qui était comme une forme à l’intérieur de la narration. De même pour les passages dans la cité des Orgues dans le 19°, cette chorégraphie joue comme dans les films des années 60 où beaucoup de micro mouvements humains étaient organisés. Avant les gens étaient des acteurs de circulation, aujourd’hui il y a des plans plus nombreux et montés plus rapides et il n’y a plus que des figurants. J’essaie de revenir avec des plans plus longs à l’importance de ces rôles secondaires dans le fond de l’image.

Dans cette production Rachid Oumradane vous a aidé ?

On n’a pas travaillé ensemble, il m’a aidé pour des plans qui soient libres comme des performances éphémères. Le geste chorégraphié des gens qui tombent sur le pont bleu pour 30, 40 personnes ce n’est pas si simple à réaliser, on a fait des plans spécifiques avec les conseils de Rachid pour que personne ne se blesse et que les mouvements soient harmonieux.

Comment définiriez vous cette dernière production ?

Une histoire qui part de rien, un non mouvement « l’attente ». Tenir les murs détourne « l’attente » vers une définition du cinéma : un corps qui regarde défiler du temps. Mais surtout un geste d’une violence sourde et muette qui tient en lui les tensions inhérentes du seuil pour ne pas oublier l’exil.