Mésoamérique : un quotidien sous tension

Dans la nouvelle exposition Satellite du Jeu de Paume, Edgardo Aragón témoigne et documente, en dix cartes et une vidéo, l’histoire, les ententes et les conflits, nationaux et internationaux, plus ou moins illégaux au détriment des projets de développement des États de Mésoamérique, de l’État d’Oaxaca (Mexique) et du quotidien des populations de la péninsule de Cachimbo, à la frontière du Chiapas.

Qu’est-ce que la Mésoamérique ? La notion de Mésoamérique, zone géographique et aire culturelle de l’Amérique précolombienne, a été définie il y a quelques décennies, par l’anthropologue Paul Kirchhoff (Acta Americana, 1, 1943). Aujourd’hui le Projet Mésoamérique recouvre un mécanisme de dialogue entre une dizaine d’États de la région (Mexique, Guatemala, Belize, Salvador, Honduras, Nicaragua, Costa Rica, Panama, Colombie, République Dominicaine) pour renforcer l’intégration régionale et promouvoir le développement économique et social des participants.

Qu’est-ce que la Mésoamérique ? La notion de Mésoamérique, zone géographique et aire culturelle de l’Amérique précolombienne, a été définie il y a quelques décennies, par l’anthropologue Paul Kirchhoff (Acta Americana, 1, 1943). Aujourd’hui le Projet Mésoamérique recouvre un mécanisme de dialogue entre une dizaine d’États de la région (Mexique, Guatemala, Belize, Salvador, Honduras, Nicaragua, Costa Rica, Panama, Colombie, République Dominicaine) pour renforcer l’intégration régionale et promouvoir le développement économique et social des participants.
A l’entrée de l’exposition, dans une vitrine, une série de cartes circonscrivent, entre terres et océan, sa géographie, ses acteurs historiques et contemporains, ses enjeux actuels.

Sur le fond d’une carte des États-Unis publiée en 1857 à New York par Joseph Hutchins Colton, Edgardo Aragón a historié la représentation du dieu Quetzalcóatl qu’il confronte aux monstres marins des cosmographies de Sebastian Münster et d’Ambroise Paré, symbolisant, selon les cartes l’Espagne, la puissance colonisatrice, la classe politique et ses intérêts économiques, les compagnies minières, la narco-industrie et le PRI (Partido Revolucionario Institucional). C’est ainsi toute l’histoire de la Mésoamérique, ses enjeux, ses luttes qui est offerte à l’intelligence du visiteur, depuis les anciennes cultures jusqu’au projet contemporain : partis politiques, cartels de la drogue, itinéraires d’émigration vers les États-Unis par les trains de marchandises (justement surnommés La Bête) sur fond d’extorsions, d’enlèvements, de prostitution et les d’accidents, de corruption des autorités, de disparition d’opposants (le 26 septembre 2014, 43 étudiants de l’École normale d’Ayotzinapa, dans l’Etat de Guerrero, disparaissent. Aucune enquête n’a abouti ).

En se focalisant sur l’État d’Oaxaca, les cartes mettent en évidence, à l’échelle du quotidien, l’instabilité politique, les complicités internationales, les intérêts économiques étrangers, aussi bien ceux de l’industrie minière que de celle de la drogue, qui détournent les projets gouvernementaux destinés aux populations locales. Ainsi de l’implantation de parcs éoliens dans l’isthme de Tehuantepec dont la population, soumise aux ouragans, reste privée d’électricité dans un territoire où la guerre de la drogue fait chaque jour des morts.
Changement d’échelle, une carte de l’État d’Oaxaca introduit la vidéo traçant le parcours d’Ocotlán, au sud d’Oaxaca, jusqu’au golfe de Tehuantepec pour apporter une batterie et l’énergie électrique aux habitants de la péninsule de Cachimbo. Entre la péninsule et le continent, le lac, zone de non droit, est devenu la plaque tournante de tous les trafics d’une société gangrenée par la corruption.

Un plein. La voiture prend la route, traverse l’État d’ouest en est, la montagne, le lac et l’océan. Centrale hydroélectrique en ruine, champs d’éoliennes, paysages dévastés par les ouragans, incendie d’une éolienne mettent en évidence le détournement des infrastructures publiques de développement au détriment de la population locale, les Chatinos, aujourd’hui encore majoritairement privés d’électricité, mis à part les ressources d’une petite centrale à énergie solaire offerte par une fondation indienne. Gros plan sur la batterie qui rapporte l’électricité là d’où elle vient ; branchement de téléphones et d’un ventilateur. Au fil des paysages que la caméra enregistre, le lac et l’océan à la beauté et au calme trompeurs de carte postale, exsude par quelques détails, l’interpénétration illicite des pouvoirs sous domination du voisin du nord.

Y a-t-il un renouveau après la catastrophe ? Edgardo Aragón, face au fatalisme de la tradition et des différentes variantes du christianisme introduites par les ouvriers agricoles de retour des États-Unis, ramène, en même temps que l’électricité, une ancienne légende zapotèque sur la posture de l’homme face à l’affrontement des forces antagonistes. Gros plan sur le livre Los hombres que dispersó la danza que lit une des personnes formées pour la production d’énergie solaire : « Le vent du sud triompha de celui du sud-est et poussa les nuages jusqu’à les amonceler au dessus de nos champs ; puis la pluie largua bruyamment ses cordes et descendit laver la douleur de la terre [… Les Zapotèques…] quittèrent le village pour cultiver la terre qui, restée sèche pendant deux ans, féconda la semence qu’en son ventre avaient jetée des mains reconnaissantes. » 1

Cartographie disputée et théorie critique du paysage s’énoncent et se déplient l’une par l’autre pour dresser, entre le documentaire, le récit de voyage et le conte, l’histoire et le présent troublés des Chatinos de tous temps soumis, par les Zapotèques, les Aztèques, les Européens, les Mexicains.

1 Andrés Henestrosa, Los hombres que dispersó la danza, 1929.