Il ne sert à rien de parler de nouveauté. Il y a au mieux quelques glissements sémantiques supplémentaires qui viennent embellir de leurs paillettes superfétatoires les devantures des supérettes de l’art contemporain que sont devenues désormais toutes les galeries.
Le public est au rendez-vous puisqu’on s’y est vu. Les acheteurs aussi puisque tout continue.
Et puis pourquoi chercher à savoir ce qu’il en est vraiment, du moment que l’on a son tour de manège garanti quelques fois par an ?
Ces jours-là on s’amuse dans un quartier transformé pour la journée en un disneyworld un peu particulier mais où l’on trouve en effet à peu près de tout. En tout cas de tout ce qui est censé nous faire plaisir et, qui sait, nous faire jouir.
C’est ce qu’il nous faut regarder maintenant droit dans les yeux, les objets de notre plaisir et de notre jouissance. Ils ne sont peut-être pourtant pas ceux de notre désir, non pas parce qu’ils seraient différents mais parce que cela, le désir, nous est devenu étranger. Ou plutôt, non, nous désirons, mais ne le faisons plus qu’à la manière des enfants, en nous esbaudissant devant ce qui est plus grand ou plus petit que nous, devant l’énorme et le minuscule, devant ces objets à la fois étranges et familiers, qui nous surprennent à cause d’un détail qui est fait pour nous surprendre, comme dans les scénarios des films d’horreur ou de suspenses, et nous transportent dans une extase de douceur et de gloire sans nous décoiffer ni défaire le bel arrangement de nos illusions.
Des noms ! des noms ! Des noms ! Non ! Pas de nom ! Donnons plutôt des exemples.
On a vu un mur si grand qu’on se serait cru dans une salle de classe pour géants couchés. Sur le mur si grand, un tableau si grand qu’on le croirait là pour une sorte de leçon d’anatomie.
L’objet dont l’anatomie est disons présentée et disséquée, n’est autre que la représentation, version classe de terminale enseignée par un professeur épuisé par les années perdues. Du gris au sombre un peu de couleur vent chatouille nos yeux. Manifestement, on est en train de nous expliquer que le registre des illusions ressemble à un jeu dans lequel la copie et la chose jouent à cache-cache dans le champ immense du visible qui est d’une part le champ de course de la vérité et d’autre part la salle de jeu que l’on nomme représentation.
Nous, spectateurs, nous regardons la course, mais nous connaissons le résultat depuis toujours. La table peinte ne fait pas mal si on se cogne dedans, mais son image nous rappelle que la douleur est une idée qu’il nous faut tenter d’oublier en accédant au plaisir qui naît en nous, inévitablement, lorsque l’on sait se repaître de son image. Mais c’est un livre que l’on déploie ainsi sous nos yeux, un livre sous forme de tableaux nous rappelant que la métaphysique est cette manière de questionner ce qui est au nom de ce qui n’est pas et non pas au nom de ce qui devrait être.
Nous nous accrochons au possible faute d’avoir su à temps retenir le réel comme étant notre demeure. Etrange, de voir que l’on veut faire une fois encore, ici, comme si nous ne le savions pas. Mais, ailleurs, il ne va pas de même. Personne ne veut reconnaître qu’il a laissé filer, pour lui-même comme pour tous, la proie et qu’il se nourrit de l’ombre.
Aussi « énaurme », mais oh combien plus doux, nous avons rencontré un lapin blanc. Si grand le lapin qu’on a envie de venir se glisser sous ses poils avec l’espoir qu’ils cachent quelque entrée secrète et que dans son ventre ce serait aussi doux qu’au dehors ? Mais malheureusement, aucune ouverture, aucune place, rien que la possibilité de caresser sans fin des poils si doux, si doux, si doux. La montagne lapin accouche d’une souris homme et nous, éternels spectateurs sommes la souris homme. A quel moment on se met à y penser, on ne s’en souvient plus mais il nous paraît à un moment évident que c’est à cela que nous avons accepté d’être voués, à cette régression sans fin vers une enfance bravache mais triste, perdue et impuissante.
Nous allons, nous venons, nous tournons autour du lapin, nous montons les étages nous descendons dans les caves et rien ne vient nous contenter comme ce tas de poils blancs. Ailleurs, il y a de tout et aussi des images.
Et puis soudain, oui, bien sûr, on devine que c’est cela, pas seulement des cornichons mais son pouce que l’on a envie de sucer en regardant des images qui bougent, sur l’écran d’une télé, n’importe laquelle, puisque là, devant elle, nous pouvons en même temps régresser et entendre le murmure des voix divines qui en sortent, sans fin.
Adieu métaphysique de la représentation,
adieu lapin blanc et cornichons bavards.
On ne veut que l’écran et nous.