Mettre au monde , ou l’artiste critique de la parenté

La Région Centre Val de Loire est riche en propositions artistiques. Je m’informe toujours sur le site https://aaar.fr qui les recense. J’ai ainsi découvert l’existence à Dreux d’Ar( T) senal ouvert en 2012. Depuis 2018 ce centre d’art propose des expositions estivales autour de la thématique « art et société ». Bien que l’affiche reprenant graphiquement l’architecture du lieu n’incite pas vraiment à la découverte je me suis rendu sur place pour la proposition 2022 « Mettre au monde » qui explore les relations de la création à la sphère intime et familiale des artistes.

L’organisation en a été confiée à deux femmes commissaires : Amélie Adamo est docteure en histoire de l’art, critique et enseignante en histoire de l’art contemporain à l’Université et dans des écoles d’art. Elle est spécialiste des questions de transmission, de temps et de mémoire dans la peinture de la fin du xxe siècle. Lucile Hitier est la responsable art contemporain du service culturel de la mairie de Dreux.Elle a pour mission de développer ces pratiques dans la Ville, et gère trois lieux d’exposition : la maison des arts Montulé, la chapelle de l’Hôtel-Dieu et l’Ar (T) senal.

Toutes sortes de techniques artistiques sont représentées dans ce programme qui regroupe logiquement 10 plasticiennes et 5 plasticiens puisque les premières sont souvent plus concernées au quotidien par l’équilibre entre création et vie de famille. La peinture y occupe certes une belle place mais celle ci est concurrencée par la sculpture, la bande dessinée, la vidéo et la photo. Toutes sortes d’esthétiques sont ainsi exploitées. De ce fait comme le prévoit la note d’intention cette exposition se révèle « Critique des tabous et des préjugés concernant la notion de parentalité, que les artistes exposés envisagent non pas à travers une vision idéale mais plutôt dans ses polarités, »

Si la première impression de la scénographie est agréable, avec des espaces dédiés aux différentes oeuvres et une facilité de circulation la très mauvaise manie contemporaine de supprimer les cartels prouve encore une fois son manque d’efficacité. Un plan complexe de la salle affiché et donc même pas mis à disposition du public ne permet pas toujours d’attribuer les oeuvres à leur auteur(e). Double manque de respect pour les artistes et les visiteurs.

Des oeuvres explorent tout naturellement la sexualité, telles ces sculptures de Lidia Kostanek en porcelaine en noir et en blanc, représentant symboliquement un jardin au centre duquel trône une vulve. La fille du célèbre photographe Franck Horvat, Fiammetta Horvat révèle dans une vidéo son Ventre pleureur. Une sculpture murale en ronde bosse réalisée par Prune Nourry Milk Pool, donne à voir une femme enceinte émergeant d’un mur à la manière d’une nymphe flottant dans un bain de lait. Sur son bas ventre, une projection offre une vidéo échographique d’un fœtus. Une autre représentation sensuelle de la grossesse est l’oeuvre mixte média d’Anaïs Albar produite en broderie, crayon et encre de chine sur tissus.

L’imaginaire enfantin est inscrit dans les oeuvres réalisées en bande dessinée par David B. connu pour sa série autobiographique  L’Ascension du Haut Mal , avec les peintures et techniques mixtes sur aluminium de Marlène Mocquet qui recyclent les figures drolatiques des barbapapa dans un univers totalement kitsch , ou encore dans les créations picturales de Guillaume Pinard qui reprennent les figures stylisées du dessin d’enfant au service de leurs peurs comme dans La hantise du bonhomme bâton.

Plusieurs représentations réalistes peintes ou dessinées révèlent un rapport plus apaisé à la relation parents enfants. Cela correspond à l’univers des toiles de l’artiste d’origine iranienne Axel Pahlavi que révèlent ses titres Peindre dans tes yeux ou Car je suis malade d’amour. C’et le même type de ressentis qui est dépeint par Charlotte Salvaneix avec L’heure du bain, Paternité verte ou Maternité à l’atelier . Au masculin cela se décline pareillement dans les dessins hyperréalistes à l’encre et aquarelle sur papier de Fabien Mérelle.

Florence Obrecht épouse d’Axel Palhavi montre diverses pièces de ces cinq dernières années réalisées à quatre mains avec sa fille Camilla-Thérèse . Jouant de l’ambiguïté dans sa pratique entre les représentations adultes et les figures enfantines dans ses sensuels lavis d’encre sur papier Françoise Pétrovitch présente une figure ambiguë de fille/femme aux contours rose fushia sur fond rose pastel ou blanc. Elle poursuit le dialogue intergénérationnel avec L’accouchement, dédicace à Lucie ensemble de 15 dessins sur le « devenir femme ».

Quatre des artistes de cette sélection sont représentés par la galerie Anne Barrault, c’est le cas de la plus radicale d’entre eux , Katharina Bosse née en Finlande, mais qui exerce en Allemagne. Elle s’est fait connaitre dans les années 90, alors qu’elle vit à New York, par sa série culte intitulée New Burlesque. A son retour à Bielefeld en 2003 elle poursuit son oeuvre tout en enseignant la photographie. En 2009, elle présente pour la première fois à la galerie Anne Barrault : A portrait of the artist as a young mother  que l’on retrouve ici avec intérêt. Son titre hommage au recueil de proses de Dylan Thomas Portrait of the artist as a Young dog révèle une même distanciation ironique. Consciente que l’art occidental se désintéresse de la maternité elle se met en scène , nue en pleine nature à la manière d’une mère animale auprès de ses jeunes enfants, revendiquant le caractère séduisant de son corps de femme et de gestatrice.