L’exposition de Michel Duport à la galerie See Galerie, Paris, dont le titre est : Formes en tableau /Formant tableau, réunit jusqu’au 23 novembre un ensemble de créations en deux et trois dimensions. Ce sera pour nous l’occasion de nous interroger sur cette bivalence l’artiste et sur les conséquences pour le regard des visiteurs : pourquoi certains artistes aiment à ne pas s’en tenir à un seul support et qu’est-ce que cette multiple recherche en art apporte au créateur comme aux visiteurs ?
La pratique de la peinture et celle des créations volumiques divergent d’abord par l’emploi de matériaux et d’outils différents, et aussi dans les rapports physiques de l’artiste à ses créations. Bien sûr cela entraine pour l’artiste comme pour les regardeurs des statuts esthétiques différents. La peinture offre la pénétration visuelle d’un espace fictif. L’œil invente un parcours de la surface plane à partir des indications disposées dans la présentation allusive de mondes alternatifs. L’objet pictural, par la fiction spatiale qu’il suggère, tend à produire chez le regardeur des effets interprétatifs qui touchent du côté de l’inconscient.
L’objet volumique, que l’on nomme parfois encore sculpture, bien qu’ici comme souvent, le travail du créateur n’a pas été de tailler ou enlever des morceaux à un bloc de matière. Nous sommes pourtant ici devant des formes volumiques pleines ou creuses qui demandent, lors de la genèse de ces créations, une forte relation à la matière que ce soit du plâtre, de la terre et pour certaines œuvres, une réalisation finale en bronze. Cela entraîne nécessairement une succession de confrontations physiques pour le créateur. La genèse poïétique des créations en volumes de Michel Duport inclut souvent de passer par l’assemblage, le montage et le collage. C’est le cas pour cette œuvre Volume étagère, 2017, une création assemblant des figures en plâtre, staff, bois, pigments fixés (bleu, jaune, noir, rose), le tout dans un parfait équilibre malgré cette hétérogénéité assumée. Mais l’affaire n’est pas si simple… La puissance réelle de ces formes volumiques, de dimensions pourtant modestes, conduit le spectateur attentif vers l’expression d’une création perçue comme poétique. Le caractère massif de certains volumes s’assouplit par la présence de couleurs subtiles et de détails inattendus que conforte l’ambiguïté des intitulés. Il n’est donc pas étonnant de trouver des titres d’œuvres mêlant les allusions à des objets de deux ou trois dimensions comme Formes en tableau, 2020 ou Tableau étagère, 2017. La production d’objets volumiques, fréquente depuis longtemps chez Duport, tend par la subtilité des couleurs ajoutées à des volumes à la géométrie approximative ; celle-ci va permettre au visiteur qui s’attarde à des contemplations projectives ou oniriques, donc une entrée en imagination comme devant les peintures.
La toile sur châssis est déjà un volume lorsqu’elle est accrochée au mur.
Autre apport des créations volumiques de Michel Duport : ses étagères, entre autres, demandent pour être examinées correctement que le spectateur se déplace latéralement. Mobilité que les regardeurs des peintures devraient également pratiquer plus souvent : les regards de biais sur des œuvres bidimensionnelles révèlent beaucoup de choses sur la spatialité des tableaux et, bien entendu sur ceux de Michel Duport présents dans l’exposition. Une œuvre comme Assemblage trois formes, 2013, nécessite pour apprécier l’agencement des volumes pleins ou creux que le regardeur intéressé avance et recule mais aussi bouge de chaque côté.
Les volumes ne sont pas juste des idées représentées, mais des présences physiques. Chacun apporte sa spécificité qui, associée à d’autres, entame de multiples échanges. La couleur ajoutée dans un second temps vient habilement s’associer pour renforcer la découverte perceptive.
Les peintures semblent très élaborées par la construction d’un langage associant figures et étendues de couleurs plus ou moins lumineuses dans des espaces imaginaires. C’est à la fois construit et pourtant encore proche des gestes qui l’ont façonné. L’équilibre est un moment arrêté par l’artiste alors l’œuvre aurait pu encore évoluer. Les formes colorées des peintures trouvent chaque fois un équilibre différent dans l’espace pictural. Certaines peintures assument les oppositions entre fond et figure. C’est le cas notamment de l’œuvre intitulée Deux formes sur la table, 2010. Le titre semble dire l’essentiel et pourtant il cache beaucoup. Se rappeler que la toile a d’abord été posée à l’horizontale afin que la couche de fond permette la mise en place de bord à bord d’un enduit frottassé rouge brique. Celui-ci reste très présent avant la mise en place des deux figures savamment découpées et colorées de teintes unies grise et vieux rose. Ces formes peintes par aplat sont parentes des figures volumiques. Une autre peinture Forme étagère, 2005-2007 procède de la même organisation spatiale mais avec un fond plus rouge et plus varié et surtout une des deux figures est cette fois un agglomérat de cinq formes aux couleurs variées pouvant être interprétées comme l’étagère que signale le titre. À moins que ce soit plutôt la forme horizontale bleue placée un peu plus bas… l’ambiguïté reste et c’est très bien ainsi.
Les peintures comme les créations volumiques de Michel Duport se regardent en plusieurs temps. Il faut un certain temps pour mesurer l’organisation spatiale des formes et la subtilité des colorations qui peuvent certaines fois s’associer aux effets d’espace et d’autres fois les contrecarrer.
Les formes présentes dans les peintures par Michel Duport n’ignorent pas celles de ses créations volumiques sans leur ressembler. Les espaces allusifs des peintures marquent bien l’autonomie de chaque type de créations du même créateur. Les effets d’espace sont obtenus aux moyens de formes planes superposées et non à partir des figurations tridimensionnelles issues de la perspective. La toile Série noire, 2022 est révélatrice de ce jeu de parenté et de différence assumée. Il y a bien au centre-gauche de la toile une figure presque centrale, avec une partie supérieure en plateau sur lequel semblent se reposer deux figures de teintes et de caractères différents. Si cet ensemble se remarque cela ne constitue pas l’essentiel de la peinture. Cette toile abstraite affirme bien le rattachement des créations de Michel Duport à ce qui a été appelé la nouvelle abstraction. Les artistes de ce mouvement ont tous une connaissance historique de l’histoire de la peinture abstraite du XXe siècle et trouvent les moyens plastiques pour affirmer des orientations nouvelles non doctrinales. Ce tableau, comme d’autres, remplit toute surface de la toile et même laisse déborder de nombreuses formes. C’est ici très bien affirmé par plusieurs formes colorées en appui sur le bord inférieur de la toile et aussi par une petite figure découpée bleue sur le côté vertical droit. Tout cela dit bien qu’il n’y a pas de la part de l’artiste une volonté de donner aux regardeurs une totalité mais qu’un fragment réussi est suffisant pour permettre une exploration esthétique tout à fait suffisante. Ce côté unité fragmentaire se constate encore plus pour des tableaux plus petits comme Formes en tableau 2022, 43 x 27 cm. À partir de cette constatation, on peut regarder les autres peintures et aussi les créations volume de Formes en tableau/Formant tableau avec un autre regard et mesurer l’importance, qui augmentera encore, de Michel Duport sur la scène de la création contemporaine.