Le Transpalette à Bourges et la Maison Européenne de la Photographie se consacrent à dresser un double portrait d’un artiste majeur de la scène française de l’art corporel Michel Journiac ( 1935-1995). Après la première rétrospective du Musée d’ Art Moderne et Contemporain de Strasbourg en 2004 cette réévaluation critique de l’ensemble de son œuvre montre son caractère fondateur dans les pratiques contemporaines
Sa présence avec une installation majeure dans « L’Esprit français, Contre-cultures 1969-1989 » à la Maison rouge nous rappelle combien cet engagement était politique et contre-idéologique. Son parcours personnel justifie ses prises de position artistiques. Après des études de théologie puis d’esthétique Journiac se consacre d’abord à la peinture de 1965 à 1969, année qui va voir sa première action Messe pour un Corps. C’est à cette période qu’il rencontre le critique François Pluchart qui l’encourage avec sa revue Artitudes à poursuivre sa réflexion critique et sociologique autour de l’art corporel.
Sa capacité à détourner des rituels sociaux profondément ancrés dans cette société bien pensante des années 1970 s’exerce ainsi envers la messe, la peine capitale et autres mythologies modernes selon le terme de Roland Barthes telle la journée d’une femme. Ces actions iconoclastes ainsi que le rapport entre sexe et argent, sont au centre de l’exposition du Transpalettes sous le programme :« Rituel de transmutation et Contaminations au présent » élaboré par Vincent Labaume et Damien Sausset, grâce à la complicité de Jacques Miège, ayant droit de l’artiste. Puisant abondamment dans ses archives ils ont documenté aussi bien les « 12 rituels de transmutation », les œuvres emblématiques liées aux études de genre et à la psychanalyse mais aussi un aspect moins connu et pourtant important son action d’enseignant en art et de poète.
Seul artiste français à avoir produit des œuvres au sujet du scandale du sang contaminé, il a été profondément motivé par la révélation du sida qui a touché de nombreux amis proches sans l’atteindre. De ce fait le corps et le sang comme lieux de « tous les marquages, de toutes les blessures, de toutes les traces » sont les supports de la plupart de ses actions.
Ainsi ses « Icônes des amis morts » côtoient les sigles nazis utilisés dans les camps de concentration pour distinguer les déportés juifs, résistants, tziganes et homosexuels. Cela est significatif du parti pris des deux commissaires qui montrent un Journiac très politisé. Dans cette réinvention de l’icône, de l’être et du corps des éléments annotés de sa bibliothèque montrent aussi le dialogue que son œuvre entame avec ses contemporains Lacan, Foucault ou Deleuze. Ils rappellent ses engagements auprès du Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire.
Le choix de Jean Luc Monterosso s’attache plus à la dimension culturelle de l’œuvre dans l’affirmation des identités de genre. Les deux expositions destinées à des publics différents présentent cependant conjointement des variations de certaines séries essentielles comme L’hommage à Freud, ou son prolongement tout aussi provocateur L’inceste et encore 24heures de la vie d’une femme ordinaire.
La photographie y est développée soit comme document performatif notamment dans « Rituel pour un mort, constat d’une action célébrée sur une tombe le 15 décembre 1975 en présence de deux témoins. » soit comme potentiel réalisatrice d’icône dans des portraits complétés plastiquement. A l’entre deux des ensembles comprenant aussi un miroir constituent des jeux de rôle comme « Pièges pour un travesti ».
La multiplication des supports photographiques alliés aux feuilles d’or développent autant d’inventions sensuelles d’un corps réconcilié avec son désir. Lui qui ne développa aucun fétichisme de l’œuvre sait que les différentes technologies qu’il met en action produisent avec le spectateur un échange qui réussit à faire advenir une présence, c’est en cela que son œuvre multiforme transcende l’art corporel dont il est l’un des meilleurs représentants français.