Au centre du cercle de spectateurs, ils sont deux performeurs, François Chaignaud, danseur et chanteur, en quête d’états sensoriels et spirituels face à Aymeric Hainaux, connu comme artiste beatboxer et musicien, qui triture et mélange ritournelles, beat, larsens et cris. Arpentant la scène comme un terrain de jeu aux règles incertaines, ils usent de leurs cordes vocales, de leurs pieds, de leurs bras pour développer une partition charnelle composée de cadences impaires, polysémique et insaisissable. S’agit-il d’un concert, d’un battle ou d’un rituel ?
Ce sont les émigrants irlandais qui ont importé les claquettes aux États-Unis où elles sont devenues la tap dance, la semelle des chaussures a troqué les plaquettes de bois pour des plaques de fer au talon et à la pointe. Le danseur devient tout à la fois percussionniste. En chaussant ses souliers ferrés à talon, François Chaignaud se donne pour programme de rénover les claquettes, pour ce faire il s’appuie sur la basse du beatbox de Aymeric Hainaux,
Issu du développement du hip-hop, à New York, le beatboxing a déjà connu aussi des battles. Grâce à un micro, différents sons amplifiés recréent l’illusion totale de la batterie la grosse caisse, les cymbales charleston et la caisse claire.
Ensemble ils installent ainsi la situation : « Le lieu comme une arène. Des micros, des enceintes, des praticables, des cloches, des souliers. Un rituel, des présentations, un affrontement, un nœud, un dénouement. Une saturation totale des fréquences et des muscles : une thérapie par l’excès. CORPS et SONS déchirés entre la mélancolie des rituels disparus et l’agressivité de l’actualité. »
La performance de Chaignaud est une fois de plus époustouflante. Chaussé de souliers à talon il développe sur un rythme de plus en plus haletant des foulées, des frappes du bout autant que de l’à-plat ferré et se permet même des avancées sur des pointes martelées. Hainaux entretient ce rythme avec ses percussions soufflées. Ils alternent ainsi syncopes, breaks et temps forts doublement martelés avec autorité à la canne. S’appuyant sur cette canne, il s’élève bien au-dessus du plateau sonorisé pour retomber en frappant plus fortement son coup sec.
Durant la préparation de ce spectacle, les deux artistes ont échangé chaque jour des vers en heptasyllabes, ce rythme irrégulier du 7, ils le développent aussi dans leur musique dansée. Possédant sa maison d’édition, Isola Records, Aymeric Hainaux a réuni dans un petit format ce recueil de Vers de mirlitons1. Ils s’y définissent :
« Chevaliers de pacotilles
En armes et en guenilles
Tes cloches et ta marotte
Caressent fracassent et frottent
Est-ce un sceptre ou un bâton ?
Es-tu le fou ou le roi ?
Ton pays n’a qu’une seule loi :
Ici deviennent souverains
Ceux qui jouent du tambourin
Avec la bouche et les pieds !
Mirliton : c’est un métier ! »
Dans la partie médiévale du Louvre, François Chaignaud a récemment donné son spectacle en forme de déambulatoire autour du jeu et du souffle Petites joueuses en écho à l’exposition Les Figures du fou. Il y interprétait aussi des œuvres du XIVe et XVe siècle avec un groupe de chanteurs « Les fumeuses ». Toute cette promenade était placée sous le signe de l’air, du souffle, du vent. Dans Mirliton, après l’apogée du déluge sonore et rythmique, assis au sol, Chaignaud entonne pareillement a capela une douce chanson ancienne en occitan, que son complice reprend en duo aussi léger qu’émouvant de fragilité.
Ce partage sensible de la mélodie une fois clos, ils retrouvent leur dialogue rythmé tout aussi puissant mais comme un peu apaisé jusqu’à épuisement de son rythme vers le noir final du plateau.
- Disponible ici sur le site d’Isola-records ↩︎
Toutes les informations sur Mirlitons sur le site de Mandorle Productions :