L’exposition dans le cadre du Mois européen de la photographie a été conçue par les commissaires des 7 villes (Paris, Berlin, Bratislava, Rome, Luxembourg, Vienne, Moscou) après présélections nationales. Chaque exposition affiche les mêmes artistes, mais les oeuvres varient en fonction du contexte local.
Au Luxembourg, Mutations1 a lieu au Casino Luxembourg et à la Chapelle du Rham.
Le « Prix Alcatel du Mois européen de la photographie 2006 » a été décerné à Philippe Ramette.
Avec l’apparition des nouvelles technologies, les jeunes artistes d’aujourd’hui réagissent singulièrement à la prolifération des moyens de travailler l’image en utilisant l’analogique et le numérique à travers toute sorte d’outil « photographique » en s’ouvrant à d’autres pratiques de l’image comme la vidéo, et les installations.
En choisissant les sept artistes qui représentent les sept capitales, le jury a tenté de présenter un panorama de la création photographique européenne contemporaine qui tienne compte des mutations qui agitent le monde de la photographie.
Ces mutations apparaissent autant dans les thèmes abordés que dans la manière de les exprimer. Ces nouvelles attitudes dans le processus artistique libèrent le photographe d’une catégorisation trop technologique et ouvrent de nouvelles perspectives critiques dans la construction de l’image contemporaine.
C’est certainement le cas du groupe moscovite AES&F (Tatiana Arzamasova, Lev Evzovich, Evgeny Svyatsky et Vladimir Fridkes) qui présente des photographies de très grand format sur lesquelles des enfants habillés en blanc, au regard figé, dominent la scène dans une attitude « fashion-fascistoïde ». Leur apparence immaculée, entre ange et mutant, est en décalage avec leurs gestes manipulant des armes qui dépassent largement le registre des jouets d’enfants.
La séduction de l’apparente beauté de l’image est en décalage avec la représentation dichotomique.
D’autres contradictions de notre monde actuel, où le réel et le virtuel se côtoient en permanence, l’artiste français Philippe Ramette les développe à travers un travail de sculpteur et de photographe autour de la notion d’apesanteur. Impliqué personnellement dans chacune de ses photographies-actions, il invente des objets, des dispositifs et des situations à partir desquelles il questionne nos schèmes de pensée et de perception. A contre-courant des tendances digitales ses photographies analogues deviennent le prétexte à toutes expérimentations physiques et mises à l’épreuve de l’artiste dans des situations extrêmes. Ces mises en scène de son propre corps et de ses objets fabriqués à cette occasion, malgré l’intervention réelle vérifiable, sèment toujours le doute chez le spectateur non averti.
L’interrogation d’un réel réinterprété et « photographiquement » ou « vidéographiquement » décliné se fait aussi dans le travail de la jeune artiste viennoise Nina Dick. Elle procède par une démarche conceptuelle qui explore « visuellement » les notions de « compression » et de « cartographie » aussi bien rationnellement que physiquement en analysant l’espace urbain mathématiquement et en l’expérimentant avec son propre corps.
Ses photographies, ses vidéos, ses dessins et ses installations sont des interventions critiques et poétiques sur le flux d’informations véhiculées à travers les médias sur le thème de l’espace urbain et du paysage.
Proche dans la conceptualisation du travail de Nina Dick le Slovaque Marek Kvetán utilise aussi la compression d’images en partant de différents films de culte qu’il réduit à une seule image fixe et qu’il présente sous forme de grand tirage photographique.
Ainsi ces photographies qui contiennent une masse d’informations semblent réduites à des compositions verticales et horizontales abstraites qui rendent l’analyse hermétique.
Dans la série « Muri di piombo » la jeune Italienne Eva Frapiccini fixe des lieux de mémoire qui dans la prise de vue contemporaine ne révèlent plus aucun signe de l’évènement historique. Comme chez Nina Dick, mais dans un autre registre, les informations sont réduites à tel point que l’image semble s’évider du vrai contenu. Le titre qui est un jeu de mot sur les années de plomb en Italie nous indique la piste du sujet qui est la perte des traces concernant ces actes de terrorisme dans les années 70. Les photographies, silencieuses et impuissantes, deviennent elle-mêmes des murs de plombs.
Avec ses « collages électroniques » subtiles de paysage mi-fictif, mi-réel, Beate Gütschow montre à sa façon comment selon Leonardo da Vinci « le paysage est une chose mentale ». Plus qu’un enregistrement la photographie devient une construction de la réalité et finalement quand on voit les grands tirages de cette artiste on se demande si justement le paysage n’est rien d’autre que cette nouvelle réalité subtilement assemblée.
Un autre type de jonction entre réalité et fiction nous est donné par les soeurs jumelles Carine & Elisabeth Krecké qui fabriquent des images à caractère photographique mais sans utiliser les moyens du photographe. La démarche, combinant dessin au crayon et traitement numérique n’a rien de « photographique » au sens premier du terme : il n’y a pas de prise de vue, pas d’utilisation d’un procédé photographique et même pas de modèle photographique comme point de départ. Les personnages stéréotypés et glamour inspirés des scénarios de films faisant référence au mythe hollywoodien sont de pures inventions.
Produites à partir de diverses étapes de « mutations », leurs images hybrides font éclater nos schémas de représentation et de perception et interpellent notre mémoire visuelle.
Ce sont probablement ces aspects post-photographiques de la distanciation représentative qui marquent le tournant de la photographie du début de ce nouveau millénaire.