Le Mois de la photographie devenu européen est accueilli dans différentes capitales, Paris où il fut fondé, Rome, Berlin et Vienne en 2008 et, en ce début d’année, Moscou, Rome et Luxembourg. Un thème commun, celui des mutations, fait l’objet d’une exposition collective à géométrie variable réunissant pour cette édition des vidéastes et de multiples autres interprétations.
Envisagée depuis deux ans l’une des expositions programmatique de ce Mois luxembourgeois « Great Expectations » (de hautes espérances) est une relecture historique de l’exposition qu’Edward Steichen consacra en 1962 à la Grande Dépression des années 30 à partir d’image réalisée dans le cadre de la commande de la FSA, Sous titrée « Contemporary photography looks at today’s Bigtter Years », il est étonnant de voir combien elle colle malheureusement à notre actualité de crise internationale. Les commissaires, les éditeurs Paul di Felice et Pierre Stiwer, et Enrico Lunghi, conservateur au MUDAM, avaient déjà, en 1997, rejoué avec des auteurs actuels une proposition magistrale de l’histoire de la photographie grâce à « Family of Man, the 90’s », inspirée du même Steichen, né au Luxembourg et célèbre conservateur pour la photographie au MOMA de New York.
Reportages, fictions et autres alternatives documentaires, mise en scène, pratiques analogiques et numériques se côtoient pour cerner dans le monde entier les symptômes de la crise. L’esprit des personnages représentés pourrait être résumé par le titre de la remarquable série de Laurence Leblanc, « To live till death is not easy ». Ses tirages denses tentent d’extraire des brumes de la survie des silhouettes aux yeux interrogateurs. Réalisée en Sierra Leone, elle manifeste des états corporels que les dominantes couleurs qu’elle maîtrise nous laisse à deviner. La sentence de ces « années amères » pourrait aussi résumer la philosophie de ces soldats américains de retour d’Irak dont la tête posée sur le sol du studio comme celle de la décollation de Saint Jean-Baptiste marque la fêlure interne. Suzanne Opton les a laissés seuls face à leur histoire. L’histoire biblique est revisitée avec un réel talent de mise en scène par Adi Nes qui nous donne de nouvelles et éternelles images de la misère.
D’autres dialogues formels prennent valeur de démonstration idéologique, ainsi les abris de fortune colorés des sdf, cadrés par le finlandais Ari Saarto, semblent narguer par leur inventivité les mesures de protection architecturales mises en place pour sauvegarder la vie des chefs d’Etat, et autres hautes autorités, Jules Spinatsch les a traqués aux alentours des forums économiques ou politiques. Les disparités architecturales des deux corpus sont réunies dans les vedute numériques de Dionisio Gonzalez qui greffent sur des favelas des habitats modernistes.
L’exposition des vidéastes sélectionnés pour « Mutations II » nous permet de retrouver, après la Maison Européenne de la Photo de Paris, dans les vastes espaces du Mudam les atmosphères chien et loup du jeune finlandais Tuomo Rainio. Paul di Felice les a ici fait dialoguer avec le très mystérieux et très prenant défilé de silhouettes que Marc Scozzai fait s’agglutiner jusqu’au bord de l’écran, elles évoquent dans un autre medium les vastes foules patiemment dessinées par Michel Houssin.
On peut leur préférer la partition colorée des chorégraphies numériques urbaines de Pëter Aerschmann. Tous ceux qui avaient apprécié au Centre Georges Pompidou, à l’espace 315, le big bang d’espaces proposé par David Claerbout se réjouiront d’une de ses plus récentes pièces qui démonte et dynamise un seul plan d’un match de basket-ball.
Le Musée National d’histoire et d’Art reçoit dans ses salles d’exposition temporaires différents portraitistes travaillant tous en format tableaux sous le programme « Modèles, modèles ». On y retrouve les mariées marocaines de Valérie Belin au corps mystérieusement gommé par leur habit de cérémonie. De marie Jo Lafontaine on peut préférer aux visages all over couleur la subtile installation des jeunes femmes dans un bain public, atmosphère hygiénique restituée par le bleu froid des murs et poses sagement frontales dynamitées par l’insolence des témoignages recueillis auprès des modèles, où fantasme et liquides corporels sont évoqués en toute franchise. La révélation de cette proposition est sans conteste les pastiches picturaux de la jeune française Luce Moreau, de sa série « Venice Prom’ Time » : chacun de ses modèles en costume historique évoquant des portraits de cour subit l’agression colorée d’une giclée de lait qui évoque moins quelque geste iconoclaste comme en ont connu certains chefs d’œuvre qu’une réactivation des fluides pigmentés qui donnent malgré tout vie à la figure qui retrouve ainsi son historicité.
On pourrait citer encore dans une même veine historicisante les hilarantes et néanmoins sexy infirmières regroupées sous la bannière des « Sisters of Mercy » par le glamour couple berlinois Billy and Hells à la Leslie’s Art Gallery. Un même décalage s’opère pour les figures kitsch d’africaines en « mutations-migrations » de Jacques Bosser à la galerie Lucien Schweizer. Quand la Banque et Caisse d’Epargne du Luxembourg a décidé de laisser quelque peu en sommeil son excellente collection réunie autrefois par Romain Schumann il est heureux de voir que ce flambeau de mécénat est repris par les achats d’œuvres de la Banque de Luxembourg avec Ola Kolehmainen ou les superbes et très parlantes litotes visuelles de Dennis Adams sur les figures de journaux en chute des tours du 11 septembre. Enfin les mutations architecturales et urbanistiques sont explorées avec le même brio par la peintre Tina Gillen (Nosbaum et Redding Art Contemporain) pour ses « Timberland », que dans les désolantes ruines post-modernes des cités numériques que la Galerie Clairefontaine expose dans les panoramiques de Giacomo Costa.