Agnès Godard assistante d’Henri Alekan a collaboré régulièrement avec Claire Denis, grâce à qui elle a obtenu le César de la meilleure photo pour Beau Travail en 2001. Déjà la danse y était présente grâce à la participation de Bernardo Montet, qui aida à chorégraphier les mouvements des légionnaires protagonistes de l’action. C’est à un projet plus investi encore dans les liens intimes des corps qu’elle se consacre aujourd’hui.
Il y a un an la productrice Anne-Dominique Toussaint (qui s’est consacrée à des films comme Place Vendôme de Nicole Garcia ou La Moustache d’Emmanuel Carrère) a ouvert la Galerie Cinéma, se dédiant à des œuvres et des artistes manifestant « l’influence du cinéma dans les champs de la création artistique contemporaine ». Elle y a accueilli des travaux de « chefs opérateurs/photographes », de « metteurs en scène/peintres » ou d’ « acteurs/sculpteurs ». L’an dernier on y a pu voir les photographies de l’artiste britannique Kate Barry, fille de la chanteuse Jane Birkin et du compositeur John Barry, avec « Point of View – portrait/natures mortes », dont les portraits de sa série « Actrices ».
Agnès Godard a invité deux acteurs Emmanuelle Bercot et Stéphane Bouquet à s’inspirer des dessins érotiques d’Auguste Rodin pour inventer pour son appareil diverses figures chorégraphiques qu’elle leur a demandé d’interpréter nus. On sait que le sculpteur a exécuté plus de 140 dessins et aquarelle entre 1880 et 1917 date de sa mort. Peut être Agnès Godard a-t-elle été encouragée dans son projet en lisant dans le journal de Rodin :
« Soyez en colère, rêvez, priez, pleurez, dansez. C’est à moi de saisir et de retenir la ligne qui me paraît vraie. »
La photographe se plait quant à elle à mêler les lignes des corps en masses indistinctes qui suggèrent la fusion recherchée des corps. En émerge des gestes de tenue plus tendre que ferme où se perdent les enjeux de qui guide et qui suit quand prime la communauté de mouvements et leur ensemble.
Le flou des corps laisse transparaitre une main, un sein qui surgissent à l’acmé du mouvement, tandis que le jeu coordonné des hanches révèle une complicité dévoilée sur le rythme même. Les visages ne trahissent que l’appartenance au genre et les filés de lumière les transforment en masque de cette complicité jouée.
A eux deux ils semblent répondre aux vœux exprimés par Marie Nimier dans Vous dansez ? (Gallimard 2005) :
« J’aimerais danser sans manière, comme un compas trace un cercle, comme une boussole indique le nord.
Annuler le visage.
Annuler l’expression.
Faire impression. Imprimer. Imprimer une forme qui découvre l’espace, qui ouvre le chemin vers une autre dimension. »
La suavité de la peau se trahit dans le grain des images couleurs, le camaïeu de tons charnels en assure la présence à la surface des tirages si subtilement peaufinés. Dans sa volonté de l’exploration d’un trouble qu’elle ne veut pas maîtriser dans un contrôle risquant d’en perdre la substance Agnès Godard affirme la singularité de son projet :« Tout est resté mystérieux, la photographie, les interprètes, les images, et même le temps qui m’a été nécessaire pour les voir et les reconnaître. »
Dans leur lien aux si troublantes aquarelles de Rodin comme dans leur apparente légèreté ces images constituent une revendication plus grave qu’il n’y paraît dans une époque où les menaces sur les corps libres de leurs désirs partagés se multiplient. Marie Nimier en détermine une autre fois les enjeux :
« C’est peut-être parce qu’il est devenu impossible de faire ça, se rapprocher, se tenir et danser ensemble doucement, que l’on voit fleurir les morts dans les musées et bientôt, pourquoi pas dans les salles de théâtre. »
En attendant les danseurs favoris d’Agnès Godard nous entraînent dans leur vive parade amoureuse.