NAISSANCE D’UNE ALCOVE

A l’heure où les musées réouvrent doucement, fleurissent en marge des institutions, de nouveaux dispositifs d’exposition. L’Alcôve est un lieu imaginé à Paris par deux jeunes commissaires d’expo, chercheurs et artistes, Clément Gagliano et Valentin Gleyze.

Florence Andoka Comment est née l’Alcôve ?
Clément Gagliano : L’occasion. J’en avais envie depuis quelques temps, puis au début de l’année j’ai déménagé et j’ai fait en sorte de trouver un lieu qui puisse s’y prêter, en fonction de mes revenus. Il est important de préciser que L’alcôve, déjà présente dans le deux-pièces de 24m² que j’occupe depuis février, n’existe que lors de son activation (lorsqu’elle reçoit du public). Le reste du temps, c’est un salon d’environ 7m². Il est important de le préciser parce que sans cela, on a tendance à oublier qu’on peut faire des choses. Je viens d’un milieu de travailleurs, je suis actuellement au chômage et j’ai donc le temps de m’y consacrer, d’y travailler, d’expérimenter et d’apprendre.

FA L’Alcôve se situe dans un espace domestique, qu’est-ce que cela implique pour vous qui vivez là, mais aussi pour l’artiste ? Comment monte-on une exposition à domicile ? Comment vit-on dans un lieu d’exposition ?

CG : En arrivant, j’ai aménagé l’espace. Les meubles se rangent assez facilement dans ce qui reste ma chambre privée, séparée par une porte située dans l’entrée. Fabienne Audéoud est la première artiste que nous exposons. Nous avons opté pour une seule œuvre, très imposante (140 x 190 cm). Si le principe est de se servir de l’alcôve comme d’un espace à part entière, l’idée que nous avons eu ici était d’en faire complètement abstraction. On retrouve dans cette tentative un écho possible au titre de cette exposition : « C’est un sujet qui polarise les gens, c’est pourquoi nous devons continuer à chercher des solutions ».

La toile est d’abord restée quelques temps fixée au mur, puis nous l’avons montée sur châssis, et nous avons testé un premier accrochage au mur, pour aboutir finalement un dispositif en coin, fixé au mur et au plafond par des chaines : nous sommes parvenus à rendre la toile encore plus imposante que son sujet, l’hippopotame. Au même titre que les « cocaine hippos » de Pablo Escobar, on pourrait dire que la toile prolifère dans l’espace, elle s’en empare complètement. Lorsque nous n’avons pas de visite, je reste seul avec l’animal. On s’apprivoise. Je vis au dernier étage de l’immeuble, orienté à l’ouest, alors selon l’heure de la journée, j’y vois différentes choses. Ça n’est pas le colocataire le plus dérangeant que j’ai eu jusqu’à présent ! Et j’aime l’idée qu’il y en aura d’autres et que durant différents moments je vais vivre avec chacune de ces expositions.

FA – Vous avez choisi d’inaugurer votre lieu avec l’artiste Fabienne Audéoud, dont le travail est centré autour de la critique des oppressions de classe, de genre, de religion. Est-ce que la question des rapports de force sera une ligne de force de ce qui se jouera à L’Alcôve ?

Valentin Gleyze : À titre personnel, au sein de mes pratiques de recherche et d’enseignement, plutôt travaillées par une sensibilité féministe, je m’efforce d’être toujours attentif (et de rendre attentif) à la question du canon : à qui est accordé de la visibilité (et parfois au prix de quelles distorsions), dans quels endroits, par la volonté de qui, selon quelles temporalités ? Ça peut tenir à quelques réflexes simples de ce type, en tout premier lieu, je crois. Ça peut être une manière de s’orienter, de naviguer, a minima. Et en l’occurrence, le travail d’Audéoud problématise effectivement à plusieurs endroits ces « rapports de force » qui structurent les histoires et la critique d’art, à sa manière : il ne se sépare pas d’une certaine frontalité, et il aborde cette question avec un humour féroce. Je peux dire que cette question du canon reste présente à nos esprits, dans la manière dont nous concevons nos prochains projets !

FA- Outre vos expériences antérieures dans le commissariat d’exposition, vous êtes également investis dans le champ de l’édition, avec entre autres, la revue Féros. Que se prépare-t-il pour la suite de la programmation de l’alcôve ?

CG : Nous préparons une exposition évolutive d’art postal en juin, qui est une proposition de Dieuwertje Hehewerth, en collaboration avec Alina Lupu, depuis la Nouvelle-Zélande, puis nous prévoyons un cycle de conférences intimistes cet été, se jouant probablement sur toile de fond d’exposition également (l’idée de cet espace étant également de fonctionner sur un mode autre que celui de l’institution justement, de (se) construire et d’enrichir avec d’autres codes). Puis pour la rentrée, nous y travaillons : il faudra venir nous voir !