Nathalie LAEMLÉ, une géologie des écritures vibratiles

Peu de traces, une surface comme blessée, en des fêtes que le signe n’aurait pas vécu pour rien. La matière semble fragile où l’artiste a creusé son chemin ; papier , carton, lino, peu importe, si ce n’est la sensualité de cette arène mate. Le combat avec l’ange du paraître ou le démon de la représentation vient de s’y conclure.Oui vos yeux en survolent le champ de bataille. Le terrain à perte d’échelle semble plein de cicatrices, à la façon toute particulière dont Sophie Ristelhueber documentait dans sa série « Faits » les sols meurtris par la guerre au Liban. Mais les distances ici sont organiques et mues par l’énergie vitale.

La cartographie que Nathalie Laemlé sculpte en taille douce comporte aussi ses zones de basse intensité qui ne sont pas si éloignées des dessins de souffle de Léonard de Vinci et des champs bien plus profondément labourés qui renvoient à ses influences. De ses études aux Beaux Arts de Paris elle ne retient que son travail au long cours dans l’atelier de Giuseppe Penone et une rencontre plus spécifique d’un workshop avec Daniel Dobbels. Du premier on peut soupçonner la complicité méditerranéenne avec son étudiante aujourd’hui réinstallée à l’Isle sur la Sorgue, berceau de sa famille.On peut revoir aussi dans les sculptures empreintes opérées par le maître de l’arte povera sur des éléments de la nature un modèle que Nathalie applique à cette sorte de gravure sans report ni interaction acide.

Cette technique pratiquée aussi dans l’atelier parisien du taille-doucier René Tazé elle en a fait une sorte d’étalon, chaque œuvre de notre jeune artiste apparaît comme la matrice non tirée d’une gravure que seul le regard du spectateur imagine ou finalise. Du chorégraphe et critique d’art qu’est Daniel Dobbels elle a entendu son attente que chacun revendique son propre geste dans toutes ses conséquences éthiques et esthétiques. C’est ce qu’elle expérimente dans son corps à corps avec ses œuvres de plus grand format. Elle semble s’y souvenir de l’exigence du danseur soucieux de la sauvegarde et de la transmission de quelques gestes essentiels.

A cet engagement physique global semble s’opposer la nature particulière de son action au niveau macroscopique. Sa finesse, son caractère de précision en sont frappants et ce n’est pas un hasard si cette maîitrise lui est autorisée par les outils rares de l’optique ou de la microchirurgie. De ce fait ces œuvres nécessitent de leur regardeur une véritable accommodation en plusieurs temps. La première vision de loin suggère une figure arrêtée dans son développement dynamique. Les questions sur sa nature et sa facture encouragent une vision frontale de plus grande proximité. Pour retrouver finalement la direction de pénétration du support dans la surface tendre, un regard en biais dans l’oblique de la taille rejoint le geste de l’artiste. Un léger recul, dans l’axe, permet l’appréhension globale qui devient , de fait, critique par la compréhension intuitive du protocole de travail.

Cette complexité traduit le goût de Nathalie Laemlé transmise par un grand père médecin pour les écritures anciennes. Dans une précédente série justement titré « Palimpsestes » faite de toile de lin et de papier asiatique elle trace des signes improbables avec des encres qui se modifient par l’action de différentes cires. Le long format comme d’un parchemin déroulé permet ici aussi l’ampleur de tout un juste geste soutenu par le corps entier. Et le déchiffrement plus intime apparaît ici encore comme une nécessité. L’érosion du support joue en concurrence avec une mémoire partagée dans l’universalité d’un geste dansé, celui de l’artiste anticipant le pas de deux du spectateur devant ces œuvres vibrantes.