Le Mamac de Nice accueille une remarquable rétrospective d’Ernest Pignon Ernest tandis que le théâtre de la photographie vient de fermer ses portes après une intéressante exposition Jacques Henri Lartigue et avant son déménagement imposé par la Mairie. Les deux faits rapprochés posent la question de la considération du public et du rôle de l’art.
Francis Huster ayant fait valoir auprès de la municipalité de Nice sa volonté d’ouvrir une école de théâtre, il a été décidé dans l’urgence de déplacer le Théâtre de la Photographie. Ce qui dans un premier temps a mécontenté les spécialistes des arts plastiques comme des arts vivants. Une première proposition de reclassement de l’institution photo a été repoussée grâce à une importante mobilisation citoyenne. Le premier lieu envisagé était anormalement insuffisant. La nouvelle proposition , le nouveau lieu offre, dans la partie ancienne de la ville, un espace plus grand. Mais ce que nos politiques n’ont pas envisagé c’est que l’école de théâtre va pouvoir former une quinzaine d’étudiants (et l’on ne peut que s’en réjouir) si ce n’est que les responsables de la photographie recevaient chaque année plus de 3000 élèves, collégiens et lycéens ce qui ne sera plus possible dans la nouvelle structure. A quoi bon continuer d’offrir une culture et une pratique artistique dans un domaine aussi susceptible de manipulation idéologique que celui de l’image. Voilà un nouvel effort pour encourager un analphabétisme iconique à long terme. Rideau.
Ernest Pignon Ernest est notre artiste le plus intelligemment engagé et le plus sensiblement apte à trouver un accès direct aux publics les plus différents. Il est intervenu sur toutes sortes de théâtres des conflits. Les conditions de réalisation, le contexte historique de production de ces corps à échelle 1, à taille humaine, sont clairement rappelés par des textes en français, anglais et italien où l’artiste légende précisément chaque œuvre.
Quand la ville de Nice était jumelée avec Le Cap du temps où l’apartheid y régnait encore dans sa plus grande dureté, il avait créé dès 1974 ses affiches sérigraphiées à partir de ses dessins montrant souvent en pied les victimes de la ségrégation. A l’époque elles étaient collées clandestinement de nuit sur les murs et palissades, que ce travail soit aujourd’hui montré dans le superbe musée de la ville ne peut que nous réjouir. En 1996 le MAMAC avait déjà accueilli un ensemble de travaux relatant l’important corpus produit à Naples, sudori di carta. On les retrouve aujourd’hui où un corps s’échappe d’un soupirail tandis qu’il poursuit le développement des composantes baroques de son œuvre dont il actualise les données en les politisant. Un bon exemple en reste la réinterprétation du David et Goliath de Caravage où les têtes brandies sont celles du peintre et de Pasolini.
Toute l’histoire du XXième siècle idéologique est montrée avec ses anonymes comme les morts du métro Charonne mais aussi ses héros littéraires et martyrs comme Artaud, Desnos ou Genet. En 2012 les couvertures suspendues aux barreaux de la prison Saint Paul à Lyon connaissant un record des suicides deviennent des suaires tandis que sont suspendus les « yoyos » qui passent des objets en fraude d’une cellule à l’autre. La chronologie est parfois brouillée par la similitude des souffrances ainsi le corps de Maurice Audin victime de la guerre d’Algérie, replié sur lui-même semble fraterniser avec ceux des sdf réfugiés dans les cabines téléphoniques où ils tentent de dormir debout ou accroupis.
Plus étonnantes les Extases des saintes donnent lieu à une installation à l’église abbatiale de Saint Pons dont l’architecture baroque fournit le cadre parfait à ces corps de femmes jugées folles ou hystériques dont il imagine les portraits en transformant le corps d’une danseuse étoile. Les tensions de ces mystiques tendant à une désincarnation évoquent d’autres corps martyrs des exactions islamistes.
La démarche totalement novatrice d’Ernest Pignon Ernest est riche du dialogue avec la grande histoire de l’art, parce qu’elle sait se mettre à l’écoute sensible et sensuelle de la mémoire, des révoltes et des personnalités les plus fortes toujours en lutte.