« Notre relation au monde » trois pratiques documentaires en école d’art

Les Ateliers de Recherche et Création en école d’art sont des lieux rares d’échanges d’idées et d’expériences au service d’une pratique artistique .Il n’est pas si fréquent que leur action soit médiatisée par une publication. « Notre relation au monde » publié par Zoème retranscrit les rencontres d’un de ces ARCs au coeur des Beaux Arts de Marseille qui réunit autour de l’équipe pédagogique trois photographes du nouveau documentaire et une philosophe qui collabore régulièrement avec l’un d’entre eux.

Trois enseignants en photo, Vanessa Brito, Max Armengaud et Jean Louis Garnell ont organisé ces rencontres avec leurs étudiants au sein de l’école, en lien avec la librairie-galerie Zoème dirigée par Soraya Amrane.
Dans sa préface Vanessa Brito professeur de philosophie te théorie de l’art affirme le but commun d’un tel atelier : « encourager de jeunes artistes à sortir de soi, , de leur univers personnel t initié pour venir associer la production de nouvelles formes à des préoccupations sociales et politiques. » Ces trois recherches menées par Geoffroy Mathieu, Samuel Gratacap, Philippe Bazin et Christiane Vollaire ont en commun de négocier leur pratique avec une communauté. La philosophe insiste sur l’intérêt « d’exposer la pensée à l’épreuve du terrain qui transfigure l’individuel sur le collectif ».

Ainsi les dialogues de Philippe Bazin et Samuel Gratacap avec les émigrés ou les échanges de Geoffroy Mathieu avec des urbanistes, géographes ou artistes-marcheurs enrichissent leur création ; Ainsi seul ou en collaboration avec Bertrand Stofleth il matérialise les images d’une « écologie du paysage ». Sur le chantier du viaduc de Millau il produit ainsi son livre mue publié en 2006 par Images en manoeuvres. On peut aussi s’intéresser à son concept des « paysages usagés » développé en 2013 ou à ses dispositifs anti-installation contre les gens du voyage. Autant de pratiques collaboratives engagées qui justifient le titre de son entretien Démultiplier le réel.

Samuel Gratacap quant à lui théorise sa propension à Saisir le malaise. Formé lui aussi aux Beaux Arts de Marseille depuis 2007 il était déjà engagé dans une association de visiteurs de prison. En 2012 il commence son projet sur le camp de réfugié de Choucha, frontière Tunisie-Lybie, ce qui lui a permis de produire sa série Empire, prix ADAGP au Bal. Sur place il ne s’est pas contenté de capter des images il s’est engagé à donner des cours de photo aux adolescents du camp. Il introduit aussi les textes des entretiens qui recueillent les témoignages de tous ces refusés du droit d’asile. Son travail avec la galerie Les filles du calvaire lui a permis ensuite de voir son exposition Fifty-Fifty aux Rencontres d’Arles 2017 financée aux 3/4.

Suivant le retour d’un certain nombre de ces réfugiés il se rend en Lybie alors en guerre avec une carte de presse. Là il enregistre en son ou vidéo leurs témoignages. Il dresse aussi le portrait d’hommes cagoulés et hyper-armés. Cette milice salafiste intervenant comme une brigade des moeurs qu’il qualifie de fashion models de la guerre. Ces figures hantent les migrants qui craignent leurs exactions. Grâce à son obstination il réussit à donner une image des gens dans les centres de détention. Esayant de se libérer du business il quitte sa galerie pour trouver d’autres financements dont ceux dûs à sa collaboration avec Le Monde. Ensuite il travaillera sur la frontière franco-italienne pour une série qui sera exposée en 2023 par Luce Lebart à Regio Emilia.

Au moment ou s’est tenu l’atelier en 2018 Christiane Vollaire venait de publier Pour une photographie de terrain et Philippe Bazin Pour une photographie documentaire critique, tous deux chez Créaphis, dans leur complicité assumée entre philosophie et création image. Ils ont projeté aux étudiants un de leurs travaux réalisé en Bulgarie Terres brûlées suite à une série de d’immolations. Le travail de l’artiste s’est d’abord focalisé sur les visages de vieillards grabataires qu’il côtoie alors en tant que médecin , avant de passer son diplôme à Arles. En 1988 Il commence sa série Nés publiée seulement en 1999 . La même année il réalise toujours en noir et blanc Femmes militantes des Balkans.

Dans le travail mené en Pologne avec des réfugiés Tchétchènes il accepte qu’ils n’aient pas envie d’être sur l’image mais orientent la prise de vue vers les lieux et conditions de survie, dans une pratique de la photographie négociée. Avec les étudiants ils ont engagé un travail concret sur les effondrement d’immeubles de la rue d’ Aubagne qui venaient de se produire. Toujours soucieux de mêler création et réflexion théorique il rappelle dans l’entretien l’importance pour ces nouvelles pratiques documentaires d’un essai comme celui d’Hal Foster Le retour du réel traduit en France seulement en 2000 alors qu’il avait inspiré la Documenta de 1997 dirigée par Catherine David.