Le Frac Aquitaine et les éditions Mix lancent avec « Nouit » de Thomas Clerc le début d’une collection où un écrivain prend pour point de départ une oeuvre du Frac. Exercice aussi fascinant que périlleux, puisqu’il s’agit de se laisser absorber par une oeuvre sans s’y retrouver enfermé.
Thomas Clerc a choisi une image de Jeff Wall, « No » (1983) qui, reproduite en début du livre (mais pas sur la couverture, la positionnant ainsi au sein du récit), engage à la regarder avant d’entamer la lecture. Un homme qui marche, une femme à l’arrêt qui le regarde, un trottoir fortement éclairé, et surtout une impression comme souvent chez Jeff Wall d’un temps suspendu et très cinématographique. Une image saisissante et mystérieuse, invitant de manière assez évidente à l’interprétation littéraire.
Le choix n’est donc guère surprenant, et pourtant la lecture le sera. ll est complexe face à tout oeuvre un peu forte de raconter ce qu’on y voit sans empêcher les regards, d’ouvrir des interprétations narratives sans perdre de vue la nécessité pour le lecteur de rester en même temps spectateur d’une image et de ses multiples significations. Thomas Clerc y est parvenu, construisant un espace fictionnel qui, à partir d’une idée fort simple, lui permet d’alterner les points de vue, s’enfonçant dans l’intimité psychique des personnages dans un jeu d’aller-retour construit en de très courts chapitres. Il nous fait ainsi entendre des méditations subjectives qui se parlent sans se voir ou se voient sans se parler, décrivant un monde où la parole et avec elle le phantasme sont des actes de résistance à la sur-visibilité générale, à l’éclairage de la nuit et à la surveillance vidéo, mais où les corps ne sortent pas de leurs solitudes moites.