Olivier Gourvil, pour une émergence des figures

Une nouvelle exposition de Olivier Gourvil se tient dans la Galerie Jacques Lévy (Paris) jusqu’au 15 Décembre 2018. Elle a pour titre le jour/la nuit. Celui-ci reprend les intitulés opposés de deux grandes toiles exposées. Dans un court texte d’accompagnement l’artiste précise : « Peinte en premier, La nuit a trouvé son titre une fois le tableau terminé. Ce qui a provoqué une suite : Le jour, La nuit, L’aurore, Le crépuscule. Chacun de ces moments est pensé comme une figure du temps et de la lumière que nous donne chaque journée. » 1 Le visiteur entrant ne doit pas pour autant s’attendre à trouver sur les cimaises de la galerie quelques figurations impressionnistes. Loin de là.

Depuis longtemps Olivier Gourvil est un peintre abstrait, ou plutôt devrait-on dire un peintre presque abstrait. On se réfère alors au titre d’une exposition collective de 8 artistes à Bourges en 2009 et du livre publié à cette occasion La peinture est presque abstraite (éditions Analogues). Gourvil a pris une part active dans la conduite de ces deux réalisations.

Mon admiration pour le travail d’Olivier Gourvil s’est accrue au fil des années, devant sa capacité ne rien négliger dans ses créations. Dessinateur émérite il associe dans ses espaces picturaux le dessin, la couleur et même ici les effets de matière. Mieux encore il parvient à conjuguer la rigueur de la composition à la souplesse des lignes, le sérieux de l’exécution formelle à une distance critique où l’humour peut prendre place. La présence de cernes rend ce travail très graphique, avec de formes vides et pleines habilement imbriquées. Les formes colorées ne nécessitent pas de traits de contour pour s’émanciper partiellement du plan du tableau. L’ensemble participe à la création d’un espace réduit. C’est une peinture engagée que mène ce peintre lorsqu’il conjugue une double référence aux images du monde réel et à celles de la culture tout en gardant toujours une élégante distanciation.

Dans cette série de tableaux récents (2017-2018) de cette exposition les pans de couleur ne sont pas tous uniformément peints. Dans La nuit (2018) la reprise en gris sur rouge laisse voir les traces de l’activité manuelle s’opposant ainsi aux autres surfaces si parfaitement lisses qu’elles pourraient être produites mécaniquement. Toutes ces œuvres associent sur le même support peinture acrylique et peinture à l’huile. Souvent, comme dans Sehui (2018), les surfaçages à l’huile favorisent une perception haptique associant l’exploration visuelle complexe des tracés noirs et la sensualité tactile du fond blanc.
La singularité du travail d’Oliver Gourvil tient au statut qu’il donne à la « figure ». Relisons Michel Guérin : « À l’origine de la peinture, serait donc le plaisir, celui, particulièrement, de faire et de voir émerger la figure. On ne manquerait pas d’arguments pour défendre l’idée qu’une peinture est le produit d’une négociation entre la figuration et la représentation. » 2 Depuis quelques années Olivier Gourvil a choisi le parti pris de la figure. Il a évacué les représentations imagées qui étaient souvent ironiques et allusives du monde des comics mais il a gardé dans ses créations picturales le désir de faire émerger de singulières figures plastiques.

Dans ces peintures ne s’agit bien de faire tenir ensembles des figures émergeantes. Le registre est celui de la figurologie dans la mesure où l’artiste réussit à faire émerger des figures à forte présence plastique qui ne sont ni des formes mimétiques du réel, ni des reprises de signes à valeur universelle. La singularité des figures présentes dans les peintures de Olivier Gourvil vient sans doute du travail préparatoire par de multiples dessins. Les figures qui composent ces peintures ne renvoient ni à la copie d’un modèle de la réalité, ni à une abstraction dénuée de présence matérielle, ni à quelque pur concept. Chacun des éléments formels mis en place par l’artiste dans ces tableaux apparaît comme un élément constitutif d’une organisation structurée qui reste pourtant toujours ouverte.

On observe souvent un groupement de formes constituant une figure majeure au centre de la toile. Dans ces créations récentes le jeu des plans superposés (overlapping figures comme le formulait György Kepes) n’est pas seulement là pour organiser la profondeur sans recours à la perspective mais aussi pour favoriser l’apparition d’ambiguïtés spatiales. Dans La nuit la figure blanche centrale passe par le jeu des lignes sinueuses latérales différentes du premier plan du tableau à un pseudo enfoncement dans une forme plus éloignée, rayée horizontalement. Dans la toile intitulée L’aurore la figure rouge sur le côté gauche du tableau est comprise soit comme passant en arrière des formes blanches soit comme venant en avant. Cette avancée est sans doute favorisée par la figure de longue ligne bleue qui elle-même change de plan en changeant d’orientation. Il y aurait beaucoup d’autres situations de ce genre à examiner.

L’œil averti peut les voir, le plus difficile est de trouver le langage pour les dire. Et c’est très bien ainsi. L’œil et l’esprit se réjouissent de ces riches ambiguïtés visuelles. Seul le langage est pris en défaut. Toujours dans le registre des doubles lectures optiques, il y a chez Olivier Gourvil des grilles qui peuvent se présenter frontalement comme dans Ellis ou L’aurore ou bien devenir vecteur de plans fuyants comme dans Sehui (2018) ou Véronèse 3 (2017). Cette dernière peinture exemplifie bien l’une des gageures que l’artiste réussit à tenir dans ses tableaux récents. Il y a bien une figure centrale qu’on pourrait dire érectile mais il y a aussi des plans fuyants latéralement qui laisseraient penser que l’œuvre pourrait se prolonger au-delà du rectangle physique de la toile.

Les deux options font référence à des formes symboliques différentes de la représentation de l’espace : la première issue de la Renaissance considère le tableau comme à petit monde clos sur lui même et la seconde, développée à partir de l’abstraction américaine, est plus modeste. Elle a comme seule espérance de réussir à proposer un fragment cohérent. Olivier Gourvil qui possède une vraie connaissance de l’histoire de l’art moderne et contemporaine fait la démonstration de ce qu’il affirmait en 2002 : « Je ne crois pas que maintenant les interrogations se dissipent, mais elles laissent une grande latitude, c’est-à-dire la liberté de choisir. » 3

Cet ensemble d’œuvres témoigne de la réussite d’une expression picturale libérée des contraintes historiques ou stylistiques.

1 Haptique était le titre d’une précédente exposition (2016) dans cette même galerie.
2 Michel Guérin, « L ‘origine de la peinture » in La cause de la peinture, PUP, 2008, p. 204.
3 Olivier Gourvil, « Tableaux tragi-comiques », in Abstractions, Ligeia, numéro 37-40, Paris, 2002, p. 113