« Je suis ORLAN, entre autres, et dans la mesure du possible » affirme ORLAN au seuil de ces cinq entretiens. Elle qui se présente comme « UN femme et UNE homme » pose son identité comme mutante. Mixte. Hybridée. Iconoclaste. Avec humour, toujours.
Métamorphose du corps, du visage, de soi. Comme on le découvre au fil de ces entretiens, métamorphose et hybridation sont les paradigmes d’ORLAN. D’emblée, elle impose l’art comme subversion des pressions sociales, religieuses qui font violence au corps, en particulier celui de la femme. Alors Orlan s’accouche d’elle-m’aime. Et elle investit la totalité des champs artistiques : séries photographiques, mode, sculpture, peinture, vidéo, film, et dès le début, l’art de la performance, toujours renouvelé.
Elle pose son corps comme mesure étalon en Mesu-Rages d’institutions – Centre Pompidou, Guggenheim de New-York, Musée Andy Warhol de Pittsburgh …. Elle est Sainte ORLAN, en drapés baroques et variations multiples, Skaï and sky and video, ou Madone en assomption sur vérin pneumatique …, exhibant un sein nu hors la cage de l’habit religieux. Elle distribue le Baiser de l’artiste, performance aux portes de la FIAC, scandale en 1977, en vedette en 2009 dans l’exposition Elles Pompidou du Musée national d’art moderne à Paris.
« Il faut produire des effets pour engendrer des affects et ces affects créent des êtres » – tel est l’axiome baroque qui gouverne le travail d’ORLAN (1).
En 1992, son Manifeste de l’art charnel pose son esthétique comme code de déontologie : pour subvertir les standards de la chirurgie esthétique imposés aux femmes, ORLAN se lance dans une série d’interventions-performances pour « mettre de la figure sur son visage ». Contre la douleur soi-disant rédemptrice, elle revendique le « corps plaisir ». Et elle poursuit la création d’autoportraits en « ready-made modifiés » avec ses Self hybridations : l’artiste euro-stéphanoise se fait aussi précolombienne, africaine ou amérindienne….à l’infini.
Puis elle expérimente les biotechnologies dans un laboratoire australien où elle fait réaliser une hybridation de quelques cellules de son propre corps. Sous son Manteau d’Arlequin – métaphore de tous les croisements – selon les préceptes du texte Laïcité de Michel Serres, à sa manière, ORLAN donne son corps d’artiste à la science. Sa chair s’est fait verbe, plus que jamais, elle cherche à ôter le Boeuf sur la langue (2).Matériau de création, devenu son « logiciel », son corps est un lieu de débat public où se posent les questions les plus cruciales de notre temps.
Sa constance dans la subversion radicale force l’admiration, vu le nombre de scandales qui ont secoué une trajectoire artistique née dans l’offensive féministe post 1968. « Héroïque » commente Loran Hegyi, directeur du Musée d’Art moderne de Saint Etienne métropole lors de sa rétrospective en sa ville natale en 2007 (2). Il suffit de vouloir la saisir entre deux performances, colloques ou expositions aux Etats-Unis, en Australie, Colombie, Afrique du Sud ou un peu partout en Europe pour constater le rayonnement international de son héroïsme subversif.
« C’est que l’art doit changer le monde », dit ORLAN « et c’est là sa seule justification ».
(1) « ORLAN, Triomphe du baroque » par la philosophe Christine Buci-Glucksmann
Editions Images en manœuvres, 2000
(2) « Un bœuf sur la langue – ORLAN » au Musée Beaux-Arts de Nantes, Fage editons 2011
(3) « ORLAN, Le récit » par Lorand Hegyi, Donald Kuspit, Marcela Iacub, Peggy Phelan, Joerg Bader, Eugenio Viola – Editions Charta, Milan, Italie, 2007