L’officialité de la manifestation La force de l’art, deuxième du nom, encourage à une critique sévère, facile, mais pas toujours injustifiée. Certaines reprochent le faible pourcentage de femmes parmi les artistes exposés au Grand Palais quand 60% des diplômés des écoles d’art sont féminines, d’autres critiquent l’ensemble des choix. Cependant une telle initiative ne mérite-t-elle pas qu’on la juge à l’aune de ses engagements et de sa représentativité.
N’est elle pas porteuse cette proposition de Philippe Rahm, d’adapter son architecture temporaire aux œuvres quand tant de lieux obligent la démarche contraire. Toujours est il qu’elle n’est pas si spectaculaire qu’elle veut bien se donner et que les trois espaces correspondent aux trois curateurs principaux, rien n’est moins affirmé, ni évident pour le visiteur.
Notre époque comme celle de la Sécession viennoise au début du siècle précédent tente une fusion du décoratif, de l’architectural et de la figure, de cela L.F.D.A. 02 (quelle stupide maladie du sens que l’acronyme) témoigne avec la très convaincante pièce de Grout/Mazéas, qui sent malgré tout sa revisitation de Gordon Matta Clark, avec la différence qu’il opérait ses coupes dans le réel même du bâti. On peut apprécier aussi l’humour autant que la facture des wall drawings pour chambre en ruine de Stéphane Calais.
Se préoccupe-t-on de la présence significative de chaque médium, on peut regretter que la sur-représentaion de pseudo architectures sous formes d’installation ou de sculpture nuise quelque peu aux autres pratiques. La vidéo est peu mais très bien représentée par James Coleman. De même la peinture trouve en Philippe Përrot un défenseur d’une honnête envergure, même si on peut ne pas apprécier la violence de son trait ou de ses sujets. La sculpture trouve encore une fois avec Didier Marcel un défenseur alliant une certaine tradition et une vraie modernité où il interroge encore une fois autrement la puissance du changement d’échelle. Le dessin lui trouve dans l’exigeante Frédérique Loutz une figure très contemporaine dont les grandes aquarelles sont d’une construction, d’un sens de la couleur et d’une prégnance rares.
Quand à la photographie si le travail de portrait d’Olivier Bardin est des plus attendus dans les pratiques actuelles son installation en espace elliptique trouve une réelle force d’impact. Quant au travail de Jean Baptiste Ganne sur l’adaptation en photographie non illustrative du Kapital de Marx, il fait plaisir à retrouver ici, et surtout maintenant que la marchandise règne sans oser dire son nom.
Quant au champ de ce que Jean Kapéra, l’un des premiers à appeler la plastique des médias, deux œuvres nous y reconduisent avec un humour critique de bon aloi qui ne nuit pas à la dimension plastique. La bibliothèque des ouvrages devenus vains réunis dans le cercle du bon sens par Julien Prévieux ne saurait exister sans sa tentative d’expression schématisée. Les constructions en réseaux qui tentent d’en rationaliser le fonctionnement évoquent les tableaux noirs de Beuys ou les approches scientifiques et artistiques des systèmes complexes par Louis Bec (voir l’actualité de ces recherches dans l’article « Prague au cœur du réseau »). Wang Du reprend ici une pièce monumental exposée pour la première fois lors de son retour dans sa Chine natale. Le Kebab international empile des vues de son pays en grand format autour d’un axe tournant, un échafaudage permet au visiteur d’aller couper quelques fines tranches d’images du sommet.
La manifestation est complétée d’invitations extérieures faites à des artistes appelés Visiteurs intervenant dans d’autres lieux parisiens. Cela permet à Orlan de poursuivre sa geste technologique élevée à la puissance d’un baroque actuel. Elle installe ainsi au Musée Grévin non son double de cire mais un nouvel avatar. Quant à la programmation liée à internet elle est assurée par la commissaire Anne-Marie Morice qui présente sur place et en ligne des œuvres issues du Centre d’Art Virtuel Synesthésie, ce qui nous redonna le plaisir de voir par exemple Up Stream d’Isabelle Grosse aperçu pour la première fois à Nuit Blanche il y a quatre ans.
Une des très belles pièces qui réactive les arts de la mémoire est mise en place par Pascal Convert par un oublié de l’histoire Joseph Epstein qui, s’il a partagé en 43, le sort du groupe Manouchian, n’a pas figuré sur « l’affiche rouge ». A côté de son film « Joseph Epstein – Bon pour la légende » l’artiste nous propose une de ses sculptures en verre réalisé à partir d’une photographie du résistant et de son fils qui devient une sorte de monument transportable d’une grande puissance visuelle et émotionnelle.
Certes cette manifestation ne doit pas masquer les difficultés et inquiétudes actuelles qui agitent le terrain artistiques, des écoles d’art aux associations et centres en région, elle ne doit pas faire retour à une centralisation des moyens artistiques, mais elle doit être respectée pour un certain nombre de ses initiatives représentatives de la création actuelle.