OVTR (On Va Tout Rendre ) de Gaelle Bourges , une fiction documentaire chorégraphique

L’une des dernières pièces de Gaelle Bourges OVTR (On Va Tout Rendre ) , présentée au théâtre d’Orléans, une conférence dansée s’ouvre et se clôt sur le rapport intime de la chorégraphe au Parthénon à partir de la critique d’un cliché du site et d’une histoire amoureuse passée pour dénoncer la mainmise culturelle britannique sur des oeuvres grecques jamais restituées.

Gaelle Bourges née en 1967, a reçu une éducation classique en danse, avant de s’intéresser au modern jazz et aux claquettes, mais aussi à la commedia dell’arte et au jeu du clown. Elle a complété sa formation par des études sur la somatisation. Elle a été un moment stripteaseuse, ce qui lui a sans doute permis de développer un autre rapport au corps nu sur scène. Sa pièce La belle indifférence, est introduite par un exposé sur le nu dans l’art, donné en voix off par l’historien d’art Daniel Arasse, puis les trois danseurs développent un ensemble de poses inspirées d’œuvres de la peinture occidentale. La voix off interfère avec un documentaire sonore composé de confidences de stripteaseuses. Elle résume ainsi son projet :
« Inventer des machines à réfléchir des images dans lesquelles langues (les récits) et corps (les actions) s’interpénètrent pour creuser des voies dissidentes ».

Elle développe dans ses oeuvres un regard périphérique ou focal, hérité des techniques somatiques. Elle complète ses travaux préparatoires par des lectures critiques et théoriques. Ainsi sa pièce Conjurer la peur est inspirée par le livre de l’historien Patrick Boucheron, spécialiste du Moyen Age et de la Renaissance.
A partir de son présupposé « C’est l’image qui crée les états de corps. » elle étudie des oeuvres aussi diverses que des Nus de Titien, d’Ingres, de Manet, la Tenture de l’Apocalypse d’Angers, la Tapisserie La dame à la licorne, des Scènes de bain de Clouet et Tintoret ou la fresque d’Ambrogio Lorenzetti, Allégorie et effets du bon et du mauvais gouvernement .

Dans le dossier qui lui était consacré par la revue Ballroom elle analyse ainsi son travail préparatoire : « En studio avec les danseurs le premier geste que l’on fait c’est se saisir de l’image. On la reconstitue, on l’incorpore. Toute la danse vient ensuite des manipulations que l’on fait pour faire apparaitre l’image. ». Parmi les influences majeures qui ont formé sa réflexion elle revendique le cours de Paul Preciado Ce que tu vois qui l’aide par exemple à déclarer :« Entrer dans une image provoque une multitude d’affects, tout comme regarder ce corps entrer dans une image. »

Au croisement d’une réflexion féministe sur le genre et d’une relecture critique de l’histoire peinte des corps à différentes époques elle crée sa trilogie Vider Vénus qui rassemble trois pièces – Je baise les yeux, La belle indifférence et Le verrou (figure de fantaisie attribuée à tort à Fragonard) . Je baise les yeux prend la forme d’une conférence performée qui présente les modalités, savoir-faire et catégories en interaction dans le striptease révélant les liens entre monde de la pornographie et monde de l’art.

Tout son travail consiste à redonner une visibilité à des figures corporelles qui ont disparu au cours de l’histoire . C’est le cas du modèle noire de l’Olympia de Manet Laure qui retrouve sur scène un premier plan dans les tableaux vivants de (la bande à) Laura .

Reprenant une de ses structures favorites OVTR (On Va Tout Rendre) donne longuement la parole à un formidable conférencier en veste rouge d’apparat dont le sérieux concerne les échanges entre Lord Egin, , sa fille et son acolyte italien en Grèce pour s’approprier au XIX ème siècle les figures presque humaines des cariatides de L’Érechthéion volées sur le site du Parthénon et toujours présentes actuellement au British Museum .

Pour illustrer une autre hégémonie britannique via la musique pop le conférencier se fait performer pour faire le show sur Obladi Oblada des Beatles et autres tubes dont il se fait ensuite le commentateur cultivé. En fond de scène quatre danseuses et deux danseurs qui incarnent les marbres à figure humaine é-enactent leur ordonnancement puis effectuent leurs déplacement sur le plateau dans un ballet lent et lisse.

Puis une fois nu(e)s débarrassé(e)s de leur tunique rappelant l’antique ils engagent diverses actions où ils vont s’attaquer au décor dont ils font un chantier qui ravive la destruction et le pillage historique. L’avant dernière séquence voit la troupe s’engager dans un sirtaki muet qui s’enchaîne sur une chanson folklorique grecque.

Si l’engagement de la chorégraphe était initialement lié au genre et à un féminisme culturel, avec cette fiction documentaire chorégraphique elle gomme la différence sexuelle, danseuses et danseurs incarnant pareillement les statues de marbre pillées. Son propos s’ouvre sur la dénonciation de l’hégémonie culturelle anglaise et européenne.