Pascal Kern des icônes entre Fait et Fiction

Ma première rencontre avec l’œuvre de Pascal Kern date de la fin des années 80, à un moment où nous avions orienté la politique éditoriale de Café Crème magazine vers de nouvelles créations photographiques qu’on définissait alors par le terme ambiguë de photographie plasticiennne.

A partir de ses travaux regroupés sous le titre générique de « Usine à Bastos » Pascal Kern avait alors atteint une grande liberté dans l’approche conceptuelle de la photographie. C’est en explorant le médium dans une démarche de concepteur autour d’une collection d’objets hétéroclites, soigneusement rassemblés dans le chaos de son atelier, qu’il commença ses premières « sculptures » photographiques.

Depuis les premiers diptyques dans lesquels il a fait interférer le matériau de l’objet de l’image photographié au matériau du cadre, sa réflexion et sa recherche sur l’espace et la mise en question de la représentation sont de plus en plus marquées par une continuité créatrice qui définit son style particulier.

Tout son travail sur la sculpture à travers les retournements de l’espace est alimenté par les réflexions menées par la démarche photographique. Elles portent essentiellement sur les notions purement plastiques comme le plein et le vide, le positif et le négatif, l’image et la matière.

L’œuvre photographique renvoie à la matérialité sculpturale, à la picturalité et à l’empreinte. Ce triple jeu par lequel il fait fonctionner ses « fictions » pour reprendre un titre d’une de ses séries, est autant une manière de nous dire que nous ne sommes ni devant une sculpture, ni devant une peinture, ni même devant une photographie. Il nous fait douter des seules forces illusionnistes de l’image pour nous entraîner dans la complexité de ses œuvres qui constituent des espèces d’ »enveloppes de sensations » pour utiliser un terme de Serge Tisseron.

Selon la perspective qu’on choisit l’illusion prend des caractéristiques picturales ou sculpturales tout en effaçant les repères et les limites entre intérieur et extérieur et entre contenus et contenants.

La référence à la matrice, un élément récurrent dans l’œuvre de Pascal Kern, renvoie en quelque sorte à la dimension psychanalytique de l’image, qui, pour prendre une autre formule de Tisseron est à la fois « enveloppante et transformante ». « L’espace imaginaire de l’image s’étend donc dans deux directions complémentaires : l’une nous donne l’image comme un espace à habiter, qui nous contient et nous enveloppe ; l’autre nous la donne comme un lieu de transformations possibles ». La beauté des œuvres de Kern émane de cette relation du binôme « fait » (l’image comme enregistrement) et « fiction » (l’image comme imaginaire, comme œuvre qui se construit nouvellement chez chaque spectateur) qui se conjugue dans des combinaisons subtilement recherchées.

C’est en utilisant les notions de série, de diptyques ou de triptyques que les associations d’images se complètent, s’opposent et se reconstruisent autour du paradoxe du réel et où se joue pour le plaisir de la contemplation toutes les tensions matérielles et mentales de l’imaginaire.