La galerie Marion Meyer présente actuellement une exposition personnelle d’un artiste rare, dont on a peu eu l’occasion de voir des œuvres à Paris, Patrick Neu. On y voit des œuvres récentes, qui ne surprendront pas forcément ceux qui connaissent déjà son travail, mais qui pourraient bien conquérir les autres. Il y est beaucoup question d’enfance, d’érotisme également, et surtout de mort et de disparition.
L’enfance chez Neu se joue sur le mode du conte : on y rencontre des armures de cristal pour de modernes Cendrillons qui se seraient débarrassées de leurs souliers, ou des carrosses en mie de pain dorés à l’or fin. Le Cheval de bois qu’il expose ici ne déroge pas à la règle : puisque dans les contes la crinière du jouet d’enfant peut se mettre soudain à ondoyer et l’objet se réveiller, ce petit cheval se métamorphosera lui aussi. Mais de la douceur du bois rien ne subsiste, puisque le voilà changé en cristal. Moulé sur le cheval de bois de l’artiste, cette œuvre transforme son auteur en Midas malheureux, qui aurait le pouvoir de faire se changer ses souvenirs d’enfance en cristal, matériau précieux et élégant mais également froid et inaccessible. Autour de la sculpture, disposées à l’envi au sol, d’autres reliques de l’enfance : des billes, mais agrandies, imposantes.
Comme dans le monde d’Alice au pays des merveilles où cette dernière semble voir les objets qui l’environnent s’allonger démesurément, ces « yeux de chat » – puisque c’est leur dénomination enfantine – deviennent à présent inquiétants sans pour autant rien perdre de leur pouvoir de fascination. Sans socle ni arasement, elles retardent dans la galerie leur glissement incontrôlé. On sera en revanche peut-être plus perplexe devant le dragon-lustre de cristal, moins fragile et plus monumental, tranchant avec les œuvres de l’artiste, habituellement en retrait.
Ce sont justement les œuvres les plus délicates qui se trouvent dans une petite pièce adjacente à l’espace principal de la galerie, comme à l’abri des regards. Elles ne sont pourtant pas fragiles par leurs matériaux, contrairement aux œuvres de cristal, mais bien par leurs sujets. C’est ainsi qu’une nouvelle série d’Iris est ici présentée, non les fleurs épanouies que l’artiste avait déjà pu dessiner, mais des iris fanés.
Les aquarelles se délaient dans des violacés, orangés, gris glauques et jaunes timides. En quelque sorte, des fleurs malades qui deviennent pourtant sous le pinceau de l’artiste de frêles drapés. Face à elles, un os sculpté faisant intimement écho à l’érotisme des plissés floraux : c’est un petit sexe féminin qui fripe sa surface. S’il fallait rapprocher ces œuvres de travaux plus anciens de Neu, ce serait immédiatement les napperons carbonisés, les dessins sur ailes de papillons ou les sculptures en ailes d’abeilles qui viendraient à l’esprit. Car ils semblent tous mus par ce même désir de la caresse, ne serait-ce que celle de l’œil…