Comme un certain Hubert Robert, peintre romantique de la vision de ruines anticipées, Pauline Riveaux sublime le chaos saisi à l’échelle de son regard. Les souches en état de décomposition avancée et les maisons « fraichement brûlées » relèvent de scènes vues lors de balades en forêt et d’« itin-errances » en ville. « Ces moments, dit-elle, où l’on laisse venir à soi ce que l’on cherche, et qui finissent le plus souvent par arriver… ». Un champ du réel qu’elle visionne en exploratrice de la peinture ; deux approches de la « ruine » qui alimentent ses récentes séries.
Si l’on revient sur la « Série des bordels » qui marque la fin de ses études aux Beaux-Arts de Paris, le traitement hyperréaliste des intérieurs saturés d’accessoires et de bibelots accumulés entre quatre murs décrivent les illusions et l’ambition de sa génération à renouer avec la toile et les pinceaux. On peut également y voir l’allégorie du passage de l’adolescence à l’âge adulte. Autant qu’un capharnaüm agencé à dessein pour nous offrir des heures de voyeurisme à travers mille et un détails sur les matières, les reflets et les humeurs de la journée. L’intimité des tableaux laisse supposer une forme d’autoportrait, bien qu’aucune figure en pied ne pointe dans cette série ni dans les suivantes, comme pour ne pas nous distraire de ce qui est ici en jeu.
Puisqu’au xxie siècle, l’objet représente le confort et le poison de l’époque, la picturalité préserve, elle, la magie de la réalité. Non sans paradoxe chez Pauline. En donnant à voir des scènes ultimes, comme on retourne un vêtement sur l’envers, Riveaux délaisse le fait de peindre « vrai » pour la mise en scène de destructions. Le temps et l’espace se retrouvent sur la surface peinte. Dans l’amas ne perce ni perspective, ni ligne de fuite (ou si rares), mais des saillies pour vous saisir de vertige. Le sujet est gigantesque et mérite de grandes toiles. Car plus le désespoir est bien peint, plus il est désespérant, ce qui est une réussite.
Pauline Riveaux se prépare à rentrer à la Casa Vélasquez en septembre, et elle n’a pas encore 40 ans quand j’écris ces lignes. C’est aux Rencontres Carré sur Seine que, sur le principe du speed dating entre expert et artiste, elle se présente à ma table, essoufflée et en retard. « Je viens de marcher 45 minutes pour regagner la première station de métro ouverte sur la ligne de Montreuil ». Les émeutes qui suivirent la mort de Nahel par le tir policier à Nanterre ont embrasé les banlieues. Elle n’a visiblement pas fermé l’œil de la nuit et au réveil, la ville fumait, sans bus et sans train.
La destruction certes, métaphorique voire métaphysique, mais pas la violence. Pauline Riveaux m’apparait en stoïcienne, à l’instar de Jacques Monory qui transpose en peinture les leçons de l’éthique philosophique en puisant son iconographie dans le cinéma de série noire qu’il affectionne et les photos de presse. Le fameux bleu Monory filtre la composition qui vous met à distance du drame, simplement pour vous inciter à observer et réfléchir à la scène1.
Si l’aîné de la Figuration narrative apprivoisait la férocité de la société sur ses toiles, Pauline Riveaux relève le défi ambitieux et paradoxal de reconstruire le sujet gigantesque de la peinture à travers son anéantissement. Les maisons incendiées, les campements, la végétation, les concrétions de roches glissent dans une réalité de champ de bataille, de mémoire recouverte de boue, de grottes bouchées… Des jus lancés sur le support punaisé à la cimaise donnent naissance à ce qui suit. C’est l’appel vers une autre dimension où le réalisme poussé côtoie l’abstraction, où les échappées sont tronquées pour susciter la peur, où les matières sont léchées pour contraster avec des zones volontairement repeintes. La qualité du geste dépasse l’image donnée pour fourmiller de microévasions. Sous les décombres s’anime la vie… des paréidolies… Une brique se transforme en jambon, l’isolant en toison animale, des débris fondus en profil de cheval : « l’équidé brossé par Delacroix dans La Mort de Sardanapale », confie-t-elle.
Les citations qui se créent à l’intérieur de ses tableaux évincent la narration évidente. Parce que la figure compromettrait l’essentiel, elle s’évade dans la dimension macro de l’espace peint, au point qu’une fois revenu, on a la sensation d’être face à un aquarium et plus seulement une pièce dévastée. Dans le registre de l’ascèse et de la jubilation produites par ses illuminations picturales, Pauline Riveaux ne détourne son regard – ni le nôtre – du sujet : la peinture, encore et pour toujours.
Laurence d’Ist
Paris, été 2024
- Je développe cette approche dans Tragédies Monory, catalogue de l’exposition éponyme au Château du Val Fleury en 2015. ↩︎
Pauline RIVEAUX, née en 1984, vit et travaille à Montreuil ; diplômée des Beaux-Arts de Paris en 2011.
Expositions personnelles
Galerie Julio Gonzales, Arcueil, 2025
« Vestiges et reliques », château des Tourelles, Plessis-Trévise, 2022
« La Vie est un jeu d’enfants », galerie Pièce Unique, CNAP, Fourqueux, 2013
Galerie von Kraft, Knokke, Belgique, 2010
Gratifications
Pensionnaire, Casa Vélasquez, Madrid, 2024-2025
« Prix Alfred Verdaguer », Institut de France, 2023
2nd « Prix Marin », 2022
« Grand Prix de la Ville », 2020, « Prix Michel Burton », 2015, Biennale Internationale de la gravure de Sarcelles
« Prix d’honneur », fondation Jean Chièze, 2016
Expositions collectives (sélection)
Parcours d’art sacré, église St Roch, Paris
« Call of the Wild », galerie Sabine Bayasli, Paris, 2023
« Le Rêve a ses raisons », Biennale d’art contemporain, Issy-les-Moulineaux, 2023
« Woolwich Contemporary print fair », Londres, 2019
« Kuboshow Kunstmesse », Allemagne, 2009, 2012, 2013
Parutions
« Graphite », livre d’art, Hong Kong, 2022
Revue Mystère n°4, n°5, Paris, 2015, 2016
Diplômés de l’ENSBA, 2011
Catalogues gravures : Biennale de Sarcelles, 2020, 2018 ;
Concours fondation Jean Chièze, 2016.