Paysages français à la BNF, une démonstration problématique

Comment une exposition institutionnelle peut elle faire date en jouant sur la saturation d’un champ de recherche ? C’est pour tout dire la question que peut poser Paysages français, sous titrée Une aventure photographique 1984-2017 à la BNF. Heloise Conésa et Raphaële Bertho ont mené un excellent travail de commissariat, elles se sont donné les moyens de présenter un choix cohérent de travaux montrés dans leur singularité. On ne peut leur reprocher d’oubli de créateurs importants ni non plus de ne pas avoir assez ouvert leur sélection à des photographes à découvrir. Pourtant on est déçu devant ce pesant rassemblement de ce millier d’images de plus de 160 photographes.

Pour comprendre ce qui selon moi dysfonctionne on peut s’attarder sur la comparaison d’une même astuce scénographique celle du rideau à lames qui sert d’écran de projection que le spectateur doit franchir. Quand à la Maison Rouge elle accueille le visiteur pour la collection de Marin Karmitz, ce qui y est projeté est une vidéo de Christian Boltanski montrant une porte à tambour, la redondance de cet effet fonctionne puisque nos corps réels viennent se substituer aux corps vidéotés. A la bnf juste avant le rideau où sont projetés diverses images on nous a invité à nous intégrer en image pour nous fondre dans des paysages, le gadget vidéo rejoint l’inanité du selfie.

Pourtant la visite avait bien commencé et nous étions heureux de trouver là l’évocation de la mission DATAR avec plus d’ambition que ce qui nous était proposé à Arles , d’autres images, l’ensemble des partenaires pas seulement les vedettes. Autour d’un carrousel d’écrans vidéo des vitrines habilement disposées donnaient un soubassement historique à ces pratiques des années 80.

Pour rendre compte des paysages au travail à côté de l’exigence des Bureaux de Christian Milovanoff une découverte nous était proposée avec la grille de La photocopie de Julien Bénard. Puis au fil de notre parcours nous étions heureux de retrouver l’ensemble des petites images du chantier du stade de France à Saint Denis que Marc Pataut avait refusé d’agrandir pour plaire à la responsable de la Documenta qui lui avait passé commande. L’excuse étant qu’il les avait produites dans cette taille et diffusé auprès des expulsés de ce chantier et des sdf à qui il voulait remettre un exemplaire.Pourtant cette section suinte vite l’ennui de pratiques montrant plus une habileté technique qu’un vrai projet alors que l’un des dialogue visuels réussi reste le panneau noir et couleur de Bruno Boujellal .

De l’autre côté du rideau l’exposition commence vraiment selon moi nous permettant de passer d’un recensement souvent platement documentaire de la ruralité désertée et du péri-urbain à une géographie qui commence à s’incarner, elle prend l’épaisseur des Histoires individuelles qui l’ont habité. Le travail de profils photo de son père animés par une vidéo de Sophie Zénon « Homme-Paysage » est tout aussi convainquant que les ensembles photo, dessin écriture de la Carte du Tendre dressée par Alexandra Pouzet et du triptyque de Laetitia Tura. Ces trois femmes donnent la dimension temporelle qui nous manquait jusque là. Elle est poursuivie par un diptyque d’Elina Brotherus vue de dos, pieds dans l’eau puis de face dans la même inconfortable posture, comme si elle avait voulu rompre avec le romantisme de ses précédentes séries hommages à Gaspar David Friedrich.

La fiction apparaît grâce à l’univers toujours aussi poétique de Mathilde Geldhof, une touche d’exotisme non dépourvue d’humour est aussi apportée par les paysages mixtes de Fred Delangle, mélangeant villes indiennes et quartiers parisiens. Une très belle pièce de Valérie Jouve mêle murailles de lieux en déshérence certainement après expulsion des locataires et un profil du visage en élévation d’un de ses modèles qui ont rendu ses œuvres si touchantes.

Les œuvres les plus novatrices nous attendent en fin de parcours, Guillaume Amat crée un hiatus visuel dans sa série Open Fields en installant sur un site un dispositif d’image qui crée un décalage de type scénique.
Michel Le Belhomme avec ses Deux labyrinthes et ses architectures, prototypes les prolonge par ses tracés numériques tandis qu’Alain Bubblex crée des simulations numériques de villes de haute technologie. Lionel Bayol Themines crée des mutations paysagères par modification du codage informatique de l’image d’une photographie originale. Ces mutations graphiques scénographient autrement un paysage singulier tandis qu’Eric Tabucchi dresse à travers trois mini projecteurs une sorte d’atlas vidéo du paysage contemporain de base.