Pearls of the North-artistes du BeNeLux au palais d’Iéna

L’initiative de rassembler une trentaine d’artistes des trois pays (Belgique, Pays-Bas, Luxembourg) que Caroline Smulders avec la collaboration de Jerôme Lefèvre a mené de concert avec des galeristes et des responsables d’institution ne peut être que saluée. L’architecture imposante d’Auguste Perret pourrait même s’y prêter merveilleusement, si ce lieu qui héberge le Conseil économique, social et environnemental était aussi un lieu d’art.

Or, pour cette « première » en terme de manifestation d’art contemporain il était difficile de créer une véritable ambiance muséale voire de centre d’art expérimental reflétant la créativité des œuvres dans l’espace de l’exposition. Peut-être aurait-il fallu de plus fortes ambitions curatoriales pour que ce projet qui regroupe néanmoins de nombreux artistes intéressants, renommés comme émergeants, aboutisse à une prise de position artistique convaincante.

Disposées sans connivence et sans affinités électives, ces œuvres, qui, vues singulièrement dégagent une certaine force, se neutralisent dans cet ensemble qui reprend la scénographie du salon ou de la foire d’art. Et pourtant du point de vue médiation tout est fait pour que la rencontre avec l’œuvre devienne un véritable plaisir. De jeunes médiateurs, spécialisés pour l’occasion sur l’œuvre exposée d’un auteur, donnent des pistes de lecture qui permettent le dialogue et la compréhension des propositions artistiques très hétéroclites.

Et c’est vrai que la plupart de ces œuvres valent bien ce dispositif engagé pour une meilleure réception de l’art contemporain. La liste des artistes est longue. De Marcel Broodhaers à Geer van Elk, en passant par Jan Fabre et Jacques Charlier, on peut se faire une idée des recherches de ces artistes belges et néerlandais qui ont eu leur heure de gloire dans les années 70 et 80. Parmi les artistes qui exposent régulièrement en France la Luxembourgeoise Simone Decker y présente une installation à l’entrée extérieure du bâtiment. Prévue initialement pour être installée à l’intérieur sur un des couloirs latéraux cette sculpture géante en mousse polyuréthane intitulée « Le grand soufflé-Fine selection » (2011), en évoquant des blocs de béton compressé, déconstruit notre représentation de l’architecture et de l’espace qu’elle crée. Dommage que le projet initial d’investir l’intérieur n’a pas pu aboutir. La force initiale de l’œuvre réside justement dans l’affrontement entre la dimension urbaine de l’installation et son installation dans l’espace d’exposition.

La manifestation qui regroupe des propositions de différentes galeries fait découvrir aussi quelques jeunes artistes dont les travaux n’ont été que peu montrés en France.

Joris Van De Moortel, présenté par Les Filles du Calvaire fait partie de cette jeune génération émergeante qui revisite les notions d’atelier, d’espace de création et d’exposition en montrant des installations aux configurations surprenantes. « The door which was once my studio’s » (2010) témoigne de cette démarche performative « in situ » qui dégage les énergies concentrées du lieu.

Chez Vera Kox, la tension énergétique n’apparaît que quand on se penche sur l’œuvre pour voir ce qui se cache derrière cette plaque de verre sur laquelle est peinte une forme irrégulière noire. La proximité révèle une nouvelle forme qui est composée de matière noire qui s’est fixée entre le verre et le mur sur lequel le verre repose. En employant des matériaux pauvres ou de récupération l’artiste questionne nos habitudes perceptives et esthétiques.
Le décalage, entre l’effet perceptif et la charge symbolique, est significatif aussi pour les recherches de The Plug, artiste qui habite à Luxembourg et qui est représenté par Nosbaum&Reding. Le néon en filigrane symbolise le parcours sinueux et difficile d’un SDF. Les lignes fragiles et fragmentées sont encore lumineuses mais toujours sous tension et donc vulnérables.

Diamétralement opposé à ce minimalisme allégorique de The Plug, les propositions artistiques multimédia de Marie Hendriks envoûtent le spectateur en l’emportant dans une imagerie baroque inspirée du folklore néerlandais, des souvenirs d’enfance de l’artiste et des fables revisitées afin d’ouvrir de nouveaux territoires de l’imaginaire.

Cependant, malgré les œuvres significatives de Jacques Charlier, de Tina Gillen, de Jan Fabre ou de l’atelier Van Lieshout, l’hétéroclisme dans cet espace dérange la singularité des œuvres comme les installations algorithmiques du couple Driessens&Verstappen qui auraient gagné en impact interactif dans un autre dispositif.

Heureusement que pour la projection de la vidéo « I may have lost for ever my umbrella »(2011) de Johan Grimonperez le spectateur retrouve un peu d’intimité avec l’œuvre. Inspiré des écrits sur les hétéronymes de Fernando Pessoa, Grimonperez rassemble des images de catastrophes filmées par I-phone sur I-tube et rajoute une voix « off » féminine qui récite des extraits du texte du poète portugais.

Magnifique vidéo, même si on ne retient que cette phrase qui retrace bien l’univers poétique de Pessoa : « if the heart could think it would stop beating ».
Avec « Pearls of the North ou On n’a pas perdu le nord » les organisateurs face à la morosité de la crise ont voulu donner un réconfort par une scène artistique contemporaine toujours en pleine vitalité.

Objectifs partiellement atteints même si les propositions artistiques qui sont issues d’un esprit de liberté auraient due être choisies avec plus de cohérence autant conceptuelle que formelle.