Pecha-Kucha autour de RAMSA

Pour cet exercice novateur de critique d’art au Palais de Tokyo proposé pour ce 8 mars, « Journée des femmes », j’ai choisi de vous présenter une artiste dont l’œuvre s’articule autour d’un engagement féministe, au point que je l’ai invitée justement à plusieurs reprises pour la journée des femmes dans mes émissions à France Culture (dont Clin d’œil),
Entre installations, photos, vidéos et dessins, l’œuvre de RAMSA est protéiforme, mais vu la brièveté de l’exercice imposé – commenter vingt photos en 6 minutes 40 secondes – voici donc une petite sélection qui permet de saisir son orientation générale.

Entre installations, photos, vidéos et dessins, son œuvre est protéiforme, mais nous avons choisi de vous montrer ici un aperçu à partir de vingt photos

1 AU NOM DE L’ARTISTE, 2009  :
Au nom de l’artiste, ce sont d’abord deux photos d’un bateau abandonné dans une ile au Brésil, support publicitaire des années 70.
L’enseigne OMO remove rappelle à RAMSA une ancienne lessive à son nom, exhumée d’un grenier par des amis à Bruxelles. Elle en colle des fac-similés sur la galerie, repeinte au même rose violent que le papier affiché sur le bateau, lequel est un peu décollé, à la façon des Nouveaux Réalistes.

- La prise de vue en pan incliné accentue l’allure d’épave.

+ Au nom de l’artiste 2
Même bateau OMO, cette fois la nuit. La prise de vue accentue l’allure fantastique de cette épave publicitaire illuminée par les éclairages du port : un vrai décor de cinéma pour la lessive OMO, avec, toujours en écho, le fac-similé de la lessive RAMSA.
Nous allons voir combien les jeux de mots et les glissements de sens sont la matière de son œuvre, à la Wittgenstein, pour qui le jeu de langage est une forme d’analyse philosophique qui tend à la déconstruction. Ainsi, pour RAMSA, le jeu de mots souligne l’ambivalence même de tout jeu artistique. Elle commence donc par faire un jeu – J.E.U.- de son Je – J.E.-.

3- C’est une question de peau, (2007
Autre installation présentée cette fois à la Biennale de Lyon, évoquant une ancienne fontaine de Cachoera, le 1er village brésilien libéré de l’esclavage l’année de son abolition au Brésil, en 1888. Soit un aperçu du tout le travail de RAMSA sur cette « question de peau ». Sur un jeu de dames, des pions de jeu d’échec : des statuettes d’Anastasia, une esclave noire aux yeux bleus dont la bouche fut scellée par un masque de plomb pour avoir provoqué des révoltes d’esclaves.

4. Sans nous (2007)
Cette photo grand format est entrée dans la collection du FNAC. A Salvador de Bahia, où l’on fête toujours l’abolition de l’esclavage, la vision d’un conciliabule secret entre femmes noires : lors du Carnaval elles volaient à leurs patronnes leurs beaux vêtements colorés.
Cadrage sur les pieds, en contre plongée. L’identité est masquée. Esclaves, ces femmes n’en avaient pas. Mais le titre de la photo est ambigu – Sans nous. C’est aussi le patron regardeur qui est exclu.

5. A la plage, (2006)
Le Brésil, c’est aussi la plage, et donc les corps en maillots de bain. Mais dans son exposition « Décalage horaire », RAMSA provoque surtout un décalage du regard : gros plan ambigu sur une étrange main factice glissant en bordure d’un slip de jeune fille. Pas celle d’un handicapé mais celle d’un ex-voto qu’elle a acquis à Bonfim, où les Brésiliens invoquent les grâces d’une Vierge secourable.

6. Du feu de Dieu
Notre Dame de Bonfim, à Salvador de Bahia, suite. Ou comment désacraliser les marques de dévotion ? Ainsi le plafond de la sacristie d’où pendent les ex-voto des corps souffrants. RAMSA renverse sa photo. Son monde est toujours à rebours. Elle nous met en présence d’un ring de boxe autour duquel une foule de mains en prière semblent plutôt applaudir un improbable ballet de pieds et de jambes, dressés autour d’un lustre qui a pris ici l’allure étonnante d’une coupe de jeu.

7. 1, 2, TROYES, (2001)
1.2.3. Décalage et jeu de mots, nouvel épisode. A Troyes, en Champagne, RAMSA découvre des bas brodés au Musée de la maille. Sur des bas de contention, très épais, véritables repoussoirs d’amour, elle brode cette inscription « l’Amour à Troyes » et les fait porter par une femme en savates : présentée à rebours, comme dans une vitrine, une vision grinçante de la déchéance de la vieillesse chez les femmes. (Pour la présentation de la pièce en entier, elle a disposé le bas brodé à part sur un socle).

8. Le corset de Ginette
Artiste en résidence du ministère de la culture à Flers en Normandie, RAMSA a travaillé ses photos sur la thématique « de l’espace privé à l’espace public ». Dans la salle des Résistants de la Seconde Guerre mondiale du Musée de Flers, elle a épinglé l’insigne de conscrit de son grand père sur ce Corset de Ginette. Souvenir du combat des femmes, méritant aussi d’être décorées, même avec des armes désacralisées.

9. Le corset de Ginette, autre photo
Dans le jardin du château de Flers, le corset de Ginette semble abandonné au pied d’un buisson. L’étalage incongru de cette intimité en pleine nature provoque un malaise. On devine l’amour interdit, pratiqué à la sauvette à l’abri des fourrés. Mais le corset reste toujours décoré, et environné de drapeaux de multiples pays. Dans les récits de son grand père, RAMSA a compris que l’amour passait les frontières et toutes les conventions. Et puis, le prénom est bien daté : serait-ce la Ginette qu’Yves Montand suivait A bicylette ?

10. Ich liebe dich, moi non plus
En 2010, exposition collective « Un jour une nuit » dans un hôtel de Forbach, à la frontière allemande. Un artiste par chambre. RAMSA aime les écritures manuelles, transcription directe de l’intimité. Sur un drap de lit, en variation d’une célèbre chanson de Gainsbourg, elle a fait broder en rose et bleu « Ich liebe dich, moi non plus ». Serait-ce l’actualité des relations franco-allemandes ?

11. Sans mot dit
Dans cette installation, RAMSA colle sur un mur deux oreillers, un lit gonflable et un traversin. Le tout, grandeur nature. Titre : Sans mot dit. Référence patente à tout ce qui est tu dans l’univers intime de la chambre.
Mais tout est toujours modifiable : sur les draps, elle a fait imprimer la photo de la peau de sa main. C’est-à-dire sa signature même –Ramsa signifie « la main » en arabe, la main de Fatma, de Dieu qui protège, mais aussi la main de l’artiste qui peut aussi changer le cours des choses et leur interprétation.

12. Du côté de chez moi (plafonnier) ( 2012-2013)
Du côté de chez moi, c’est bien sûr un pied de nez à Proust, on entre ici dans une série de photos récentes liées à son emménagement récent dans un grand appartement du 20ème arrondissement à Paris.
Réaction de l’artiste : ne pas se faire prendre au piège bourgeois de l’appartement familial à Lyon dont elle a tout fait pour s’évader. Aussi a-t-elle fiché une côte de porc sur le lustre : du pur surréalisme à la Bunuel !

13. Du côté de chez moi (salle de bains)
On gagne la salle de bains – cette fois, les côtes de porc jonchent les escaliers de cet univers de luxe rose, désuet et ultra rétro – la viande crue, c’est aussi le corps écorché, la chair mise à nu. Le règlement de comptes familial continue, – chez les parents, on était trop bourgeois pour manger du porc, une viande réputée populaire. Et comme RAMSA déteste toucher la viande crue, ses photos prennent une allure d’exorcisme.

14. Du côté de chez moi (couloir)
Cette fois les côtes de porc surgissent au pied d’un grand rideau et elles trainent carrément sur le sol. Est-ce le retour à la condition initiale de cet animal qui se vautre dans la fange ? Décidément, dans nos sociétès, le porc souffre de multiples interdits et suscite des passions qui font couler beaucoup d’encre.
D’ailleurs, que s’est-il passé derrière ce mystérieux rideau ? Peut-être le sacrifice de l’animal lui-même ? ou quelque meurtre familial symbolique ?

15. Autre chose ( côtes de porc)
Retour à la résidence de RAMSA à Flers. Cette fois la côte de porc prend l’air. Poursuivant sa désacralisation de l’héritage familial, dans un no mans’ land près de la gare, RAMSA a recomposé la présentation d’un diner avec assiettes raffinées et couverts en argent massif. Mais le tout installé sur les restes en ciment d’un blockhaus allemand est aussi peu confortable que possible, et d’ailleurs la viande est restée crue. Rappel des repas familiaux sinistres, dont toute convivialité était bannie. Par son cadrage en biais, RAMSA fait basculer ce monde de souvenirs.

16. Autre chose (poussin et poules)
Cette fois, sur le marché de Flers : devant une cage à poules, RAMSA pose un poussin empaillé ayant appartenu à sa mère. Bien qu’inanimé, il est au dehors et libre alors que la poule, bien vivante, est en cage. Sur la photo, la poule jette sur le simulacre de poussin un regard interrogateur manifestant tout son étonnement devant ce paradoxe. On peut ici multiplier les interrogations sur la relation mère-fille, et sur la liberté de l’artiste : qui est en cage ?

17. Autre chose (les couronnes au sol)
Toujours à Flers, dans le parc du château, dans un espace très agréable où l’on pouvait avant louer des barques. Les couronnes parsemées sur le sol avec leur ombre portée lumineuse soulignent la noblesse de ce lieu désormais désaffecté et rigoureusement fermé au public. Mais photographe aussi intrépide que persévérante, RAMSA a escaladé les barrières au mépris du danger et des interdictions pendant les huit jours requis pour sa prise de vue.

18. Autre chose (tapis rouge et couronnes)
Suite des couronnes sur un tapis rouge couvrant l’escalier du château de Flers. Mais le cadrage de la photo fait disparaitre le château – le signe extérieur du pouvoir reste invisible. Et surtout, pour RAMSA, il est éphémère : le tapis est royal, dans le rouge de l’apparat, mais les couronnes sont en carton, elles jonchent le sol, et on ignore qui les a portées. S’il y a eu royauté, elle est déchue. Et les ombres portées des couronnes manifestent aussi la fragilité de la lumière.
A noter : ces couronnes en carton appartiennent à une collection personnelle de RAMSA, qu’elle a constituée depuis longtemps comme illustration de la vanité du pouvoir éphémère.

19. installation bienvenue (projet) et détail en 20
Bienvenue, l’une des installations de RAMSA, celle-ci en référence à l’écologie – RAMSA a fait plusieurs installations autour du thème de l’écologie, évoquant les problèmes des réserves en eau potable ou de la fonte de la banquise. Par exemple, elle a fait un travail autour de l’Antarctique, qu’elle fait pleurer avec des larmes de cristal, comme si nos goûts de luxe faisaient pleurer l’Antarctique
Ici, c’est la photo d’un kiosque à journaux brésiliens (Salvador de Bahia) rempli de journaux du monde entier. Mais au centre du kiosque, personne, le vendeur est absent, comme si personne ne tenait vraiment le monde, en particulier sur cette question brûlante des enjeux écologiques et environnementaux.
La photo à gauche / en portugais « pêcher à la bombe est un crime contre l’environnement puni par la loi », l’affiche rappelle une interdiction valable pour tout acte terroriste dans le monde, qu’il obéisse à des motifs d’intégrisme religieux ou d’extrémisme politique.
La présence du tapis rouge veut honorer les visiteurs qui entrent dans le monde « Bienvenue », mais à condition de prendre soin du monde qui nous est confié.

Bienvenue dans un autre monde, où les gouvernements se soucieraient davantage du sort de l’humanité – ce que suggère l’état du monde évoqué par tous ces journaux – il est urgent de se soucier de l’avenir de notre planète.