Il est encore temps d’aller voir cette exposition qui fut maintes fois reportée à cause de la situation sanitaire. Pour célébrer les 100 ans du PCF, elle expose un grand nombre d’artistes en provenance de la collection du Parti et d’autres, parmi lesquels des pépites à découvrir. Membres et compagnons de route du PC ou franc tireurs, leurs créations témoignent de la liberté de leur geste artistique. Le parcours de l’exposition comporte de nombreux flash backs sur des moments de l’histoire du XXe siècle. Le catalogue, riche de reproductions d’œuvres et même de certaines qui n’ont pas pu être exposées, contient une chronologie qui met en regard l’histoire des arts et les événements de l’Histoire tout court.
D’emblée, l’Espace Niemeyer nous plonge dans les méandres de son architecture souple qui s’accommode parfaitement au dispositif de l’exposition. Elle rend d’ailleurs un hommage à Oscar Niemeyer (1907-2012) : l’architecte, adhérent du Parti communiste brésilien, préférait, y compris au sol, les courbes et les courbures aux lignes droites, et il combattait à la fois « la ligne droite et le capitalisme ».
Du béton brut arrondi se substitue au « white cube » qui est d’usage pour exposer de l’art moderne. La promenade dans cet espace ramifié permet de découvrir des œuvres de grand format et d’autres plus modestes. Ne serait-ce que pour apprécier cette architecture moderne, une visite du lieu est recommandée. Le PCF avait fait travailler Niemeyer librement, et cette réalisation discrète, car en partie souterraine, reste un témoignage à part dans l’environnement de ce quartier populaire.
Libertés plurielles
La liberté peut être une valeur à défendre et un mot d’ordre paradoxal selon le contexte : le poème de Paul Éluard « J’écris ton nom liberté… », écrit pendant la Résistance, a fait plus tard l’objet d’une immense fresque de Fernand Léger d’une longueur 5m 40. Des bannières de manifestants photographiées par André Lejarre, des affiches lacérées prélevées par jacques Villeglé, des interventions de dessins d’Ernest Pignon-Ernest dans les rues de banlieues de Rome ou de Naples en hommage à Pasolini, des inscriptions de Kijno, un peintre à redécouvrir, sur ses toiles abstraites font de l’œuvre d’art le véhicule d’une pensée critique et témoignent d’un engagement qui peut déborder le cadre de la peinture pour venir s’inscrire, comme les slogans ou le street art, sur les murs des villes, ce que rappelle l’intervention contemporaine de Jerk 45.
Le Réalisme en question
Une bonne part des peintres engagés représentent une réalité dont ils veulent témoigner, celle du travail ou de la guerre. C’est le cas de L’Ouvrier mort (1936) d’Édouard Pignon, un peintre qui fut mineur dans le Nord. Ce tableau reste typique du « réalisme socialiste » par son sujet, même si la facture en est moins réaliste que la peinture d’histoire de Boris Taslitzky (La Mort de Danielle Casanova, 1949). Plus généralement, l’engagement des peintres et leur volonté de dénonciation les amène à représenter les horreurs de la guerre comme la torture (Julio Le Parc du groupe Denuncia). Tout se passe comme s’ils prenaient la suite de l’art chrétien en représentant des martyrs. L’art reste au service d’une foi, qui est cette fois celle de la croyance aux lendemains qui chantent. Les massacres dessinés par Tal Coat ou par André Masson, ainsi que sa vision cauchemardesque d’un camp (Les prisons grises, 1961) sont cependant plus des évocations que des représentations.
Libérations artistes
Une question se pose : se libérer par la non figuration en privilégiant l’abstraction, comme le firent Auguste Herbin et d’autres, est-il préférable à innover et à inventer de nouvelles formes de présentation, comme les Nouveaux Réalistes ou la Figuration libre ? Les œuvres d’art ne relèvent pas seulement d’une esthétique formaliste, elles sont porteuses de significations, elles suscitent des émotions.
La colombe étranglée (1963), magistral diptyque d’Arroyo, réplique à la colombe de Picasso devenue un emblème du PC. Les compositions carnavalesques d’Erro sont truffées de références détournées ironiquement et de symboles. Et le maître de l’ironie, Marcel Duchamp, est lui aussi présent : sa fameuse Joconde à moustaches sous-titrée de l’inscription LHOOQ avait été offerte au PC par Louis Aragon. Rien de moins engagé que cette « œuvre », ou plutôt ce ready made aidé, qui est pourtant au fondement de la modernité en prenant ses distances avec l’art muséal et ses chefs d’œuvre.
L’introduction de l’humour dans l’art (avec Peter Klassen, Christian Zeimert, Mark Brusse, ou encore le tableau Français encore un effort de Parré, un peintre ami de Topor, qui décapite symboliquement le Président de la République) sert d’heureux contrepoint à la vision tragique et tourmentée de l’histoire qui préside à de nombreuses œuvres.