Photo Saint Germain, une douzième édition aussi diverse qu’exigeante

Pour la 12 ème année Photo Saint Germain se tient à Paris du 3 au 19 novembre sous la direction d’Aurélie Marcadier. Une grande diversité de propositions très qualitatives est offerte aux visiteurs à travers galeries, musées, centre culturels et librairies du quartier latin au sens large.

Pour sa sélection le festival reçoit l‘assistance d’un board annuel, composé cette année de Victoria Jonathan, co-directrice du festival franco-chinois Jimei x Arles, de Véronique Prugnaud qui dirige The Eyes, de Marie Robert conservatrice Photo au Musée d’Orsay et Sonia Voss commissaire indépendante.

Une importante partie historique permet aux galeries Lucas Ratton et le Minotaure de présenter un dialogue fécond entre photos surréalistes d’Ilse Bing, Erwin Blumenfeld ou Man Ray avec des oeuvres d’art tribal. La Maison d’Amérique latine accueille une exposition de tirages noir et blanc et couleurs de Gisèle Freund réalisés entre 1941 et 1954. Titrée Ce sud si lointain elle est produite avec le concours de l’IMEC. Le Musée Zadkine offre un retour intéressant sur l’oeuvre du sculpteur à travers Une vie d’ateliers. La galerie Berthet-Aittouares accueille une intéressante sélection de Mario Giacomelli. La galerie Chenel expose deux séries d’Andy Warhol réunies sous le titre Moments , les vues du quotidien de la star de la série Interiors et les oeuvres plus engagées dans la lutte de reconnaissance des LGBTQ avec les tirages plus connus de Sex Parts&Torso. L’érotisme des corps masculins et féminins était, à côté de ses portraits de célébrités, le principal sujet d’expérimentation dans les années 1930 de Laure Albin Guillot dans une sélection très convaincante de la galerie Roger-Viollet. L’une des plus originales propositions se tient au Musée d’Histoire de la Médecine Phénomènes. L’inexpliqué face à la science qui propose d’étonnants documents concernant la parapsychologie. Des ensembles iconiques sont consacrés à la télékinésie au magnétisme, à la lévitation, aux médiums , à la radiesthésie et à l’art des sourciers, et enfin à la photographie de l’aura et autres radiations humaines, regroupant clichés anciens et actuels.

Deux prix documentaires font partie de la programmation. Pascal Maitre vainqueur du prix Marc Ladreit de Lacharrière est présent jusqu’au 4 décembre à l’Académie des beaux Arts pour y témoigner des Peuls du Sahel. Au Réfectoire des Cordelier Fabiola Ferrerro gagnante du 12 ème prix Carmignac, du photojournalisme, témoigne de la disparition de la classe moyenne du Vénézuela à l’aide d’images d’archives et de vues frappantes des universités pillées. Un important débat s’est tenu en collaboration avec Dysturb et son fondateur Pierre Terdjman et la fondation américaine CatchLight représentée par sa directrice Elodie Mailliet Storm autour du futur du journalisme visuel au niveau local et les nouvelles pratiques documentaires. Nous y reviendrons.

Deux expositions originales au féminin font les liens entre passé et présent. Chez Olivier Waltman l’israélienne Tali Anitai-Tabib rend hommage dans sa série Hôtel à ses compatriotes le célèbre architecte Abba Elchanani et le photographe David Serry (1913-1981) dont le fils lui a confié des archives argentiques. Elle redonne avec une grande sensibilité une seconde vie à un certain nombre de personnages qui furent ses modèles en les intégrant par photomontage dans ses propres images. Un tremblement temporel anime ses vues d’intérieurs. Le duo Elsa&Johanna qui réalisent des autofictions documentaires installent à la Maison d’Auguste Comte leur nouvelle série Ce que vaut une femme. Les Douze heures du jour et de la nuit. Ré-enactant un traité d’éducation morale de 1893 elles incarnent en argentique noir et blanc des rôles de femmes de diverses couches sociales.

Une même esthétique est exploitée par Laura Lafon dans You could even die for not being a real couple accueilli à l’Espace Shmorévaz déjà repéré au festival Fictions documentaires à Carcassonne. Un passionnant road trip amoureux engagé réalisé avec un complice pour dénoncer la situation intime de la jeunesse kurde. Au Centre tchèque de Paris deux quêtes de racines familiales sont l’objet de Marie Tomanova à travers ses autoportraits autour de son histoire personnelle World between us en Tchécoslovaquie, tandis que Nina Médioni revient avec Le Voile vers sa famille israélienne ultra-orthodoxe.

La création contemporaine sous toutes ses formes est bien représentée dans ce festival. On y trouve des vedettes comme Martin Parr au Centre Culturel Irlandais jusqu’au 8 janvier , qui y accroche noir et blanc et couleurs réalisés sur plusieurs années dans ce pays. A la galerie du CROUS on peut apprécier les séries Unfold et Changer plus vite que le coeur de Sandrine Marc qui scénarisent en diptyques des vitrines vides de la Capitale. A l’ENSBA l’atelier photo dans ses locaux rénovés présente ses recherches autour du beau thème Poltergeists : esprits frappeurs, esprits frappés.On peut y apprécier les oeuvres mixtes tirages et pierres de The Way of the narrative d’Ali Arkady ou le très long sténopé d’Ayako Sakuragi réaisé pendant 108 jours sur papier couleur. A l’Hôtel La Louisiane 10 artistes et éditeurs investissent chacun une chambre, on peut s’y intéresser à Grace de Raphael d’Alo qui recycle des images de la BBC sur les récentes funérailles de la Reine ou à Stéphanie Solinas qui met en scène son livre Le soleil ou la mort paru chez Delpire&Co pour interroger notre rapport actuel à la fin humaine à travers la cryonisation notamment.

Ce pari exigeant sur la création photographique historique et contemporaine est donc tenu avec brio.