Pierre Huyghe revisité

La quasi-totalité des œuvres exposées dans les galeries contemporaines du centre Georges Pompidou ont déjà été vues ailleurs : à Dijon, Paris, Venise, Kassel, Berlin, New-York.. Il s’agit donc d’une rétrospective, mais un peu particulière car l’artiste joue avec ses propres œuvres comme il fait avec celles des autres : il reprend, reconstruit ses pièces, reconfigure l’espace dans lequel elles sont montrées, et les combine avec des sculptures et objets nouveaux, créant des associations insolites. Et comme s’il ne voulait pas clore le temps et l’espace de sa propre rétrospective, il a gardé des cimaises abîmées de la précédente exposition de Mike Kelley, de sorte que les titres de l’artiste américain légendent ses propres œuvres ! Cette excentricité, au sens propre, est renchérie par l’emprunt de vrais faux portraits Modigliani et d’une muse de Brancusi.

La question de la reprise, de la réedition est centrale dans le travail de Pierre Huyghe. On ne regarde jamais la deuxième fois comme la première, le déjà vu permettant de voir autre chose ou différemment d’une part, et d’autre part pour des raisons techniques et physiques, l’accrochage, donc la présentation des travaux, n’est jamais non plus le même. De ces écarts de temps et d’espace, Pierre Huyghe a fait le ressort de ses œuvres. Et les pièces montrées ici s’inscrivent dans cette logique du remake. Certaines oeuvres sont présentes dans leur double version : photos et video ( Streamside day et Toison d’or) ou installation et vidéo ( Untitled et a Way in untilled) ; pour la plupart la variation insiste dans l’installation, sa localisation, sa spatialisation. Comme si la vocation des œuvres n’était pas d’être unique, il recompose ; ainsi L’expédition scintillante 3, la patinoire, qui, disposée obliquement, traverse un mur, ainsi Atari light le damier lumineux qui couvre et découpe l’espace d’exposition, ainsi Untilled la sculpture/ruche qui est entourée de dalles de béton pour éloigner le spectateur et faire écho au chantier/ compost créé à Kassel.

En fait les modifications spatiales ne concernent pas seulement l’une ou l’autre installation, c’est l’ensemble du site qui est reconfiguré, donnant aux passages, à la fluidité des circulations une dimension prépondérante. La seule paroi véritablement étanche – qui a pour fonction de canaliser le vol des abeilles – est vitrée, quant aux autres cloisons elles conduisent les pas, créent des sas mais n’enferment jamais. Cette fluidité est soulignée par les déambulations de personnages coiffés de tête d’oiseaux, d’un chien, une sorte de lévrier à la patte rose, accompagné ou pas de son maître, qui selon un rythme aléatoire traversent les lieux. Au hasard, et pour un laps de temps très court, apparaît une danseuse évoluant sur la patinoire. La fugacité de ces apparitions, leur caractère fortuit, les soustrait au spectaculaire pour en faire des signes d’étrangeté et de merveilleux. Ces événements ne viennent pourtant pas de nulle part puisqu’ils sont des répliques ou ont déjà leur double dans des vidéos projetées. Cela ne dit rien de leur provenance, mais les intègre plutôt à un système de signes.

Les correspondances sont en effet, avec les remake et les épiphanies évoquées, des traits remarquables de cette exposition. Des analogies, des similitudes mettent en relation des œuvres en elles, mais encore et plus spécifiques de cette exposition sont les liens nés de nouveaux objets, des aquariums de taille moyenne dans lesquels sont immergés des fragments de roche, des ruines, de petits animaux : poissons, crustacés, bernard-l’hermite, micro organismes prenant la couleur du milieu. Ces objets énigmatiques répétitifs, qui balisent l’espace de l’exposition, introduisent un milieu marin et des organismes vivants et primitifs de façon inattendue. Ils installent un nouvel univers d’eau, de sédiments et de vie, moins fictif, moins narratif et plus physique. Ils contribuent à ouvrir et enrichir le bestiaire jusque là essentiellement iconique de l’artiste ( dans la mesure où leur référent est souvent dans les contes et les fables) d’une dimension moins humaine, moins familière, moins songeuse et plus cosmique et tellurique.

Du reste les titres qui passent du « dream » ( this is not a time for dreaming) au « dram » ( zoodram parfois écrit drama), du rêve et de la fiction au vivant marin, enregistrent cette transformation. Déjà au seuil de l’exposition, des monolithes ( grès ou granit) de Parvine Curie, marquent un changement de cap, insistent sur la matière, mais matière en ruine qui s’effrite, retourne à l’état sable ; ensuite la salle suivante nous introduit aux changements d’état de la matière :liquide, solide, gazeux ( eau, glace, vapeur). Cet espace des trois états communique avec l’installation présentée à Kassel qui agrège sculpture humaine et sculpture naturelle, de la ruche.

Diverses strates du travail artistique, diverses couches du vivant, diverses sources de la pensée sont réunies et entremêlées de sorte à fournir non pas une coupe de la production artistique de P.Huyghe mais plutôt un ensemble présent constitué de ces sédiments et mis en mouvement par des êtres diaphanes. Ensemble divers que l’artiste a voulu faire aussi coïncider avec des éléments de sa biographie : le 1% de son collège à l’entrée, des sons d’enfance, des photos de vacances, la création d’une association des temps libres, un projet d’école temporaire… jusqu’à ce texte punaisé sur un mur, écrit le soir du vernissage en présence des invités qu’il regarde en même temps que l’exposition, mise en mouvement par les visiteurs et quelques fantômes. L’artiste se met en scène dans sa propre exposition ? Performance, posture, présence distance, proximité éloignement ? Extra-territorialité de l’artiste, actualité de l’artiste, outre ses œuvres.