Cet été, le domaine départemental de Chamarande est confié à Philippe Decouflé, chorégraphe, connu pour ses spectacles, qui mêlent théâtre, magie du cinéma et art du mouvement et pour avoir été le chef d’orchestre de manifestations artistiques et sportives populaires. Il a choisi d’inviter Pierrick Sorin, artiste, à dialoguer avec lui. Leurs œuvres s’accordent de manière subtile. Tous deux mènent un travail pluridisciplinaire qui appelle au jeu, entre arts plastiques et art vivant. Le premier, avec sa compagnie DCA, explore les phénomènes optiques, le second, plasticien, s’inscrit dans un courant d’artistes qui travaillent sur l’illusion des images. Leurs travaux convoquent à la fois l’art contemporain et l’art populaire, l’ingéniosité et le bricolage. Le château devient le lieu de nouvelles histoires, d’expériences du regard et de mouvement de corps à la fois virtuels et réels.
Dans le salon Contant d’Ivry, les œuvres de la compagnie DCA / Philippe Decouflé, les opticons, outils de perception, dispositifs artistiques, développés depuis le spectacle Shazam ! nous invitent à agir, à se prendre au jeu et à bouger notre corps. Le chorégraphe et son équipe utilisent les miroirs, éléments très présents dans les châteaux, qui ouvrent l’espace par leur caractère réfléchissant. Ils créent des machines du regard, telles Simone, en détournant des objets de la vie courante, chargés de mémoire, leur donnant un caractère précieux.
Pierrick Sorin, depuis les années 1990, avec l’hologramme, s’invente un double qui l’amène à travailler sur des gestes du quotidien, devenant presque burlesques. L’artiste inspiré par Méliès et par les premières expérimentations cinématographiques développe un travail artistique entre vidéo et installation. Il est également influencé par le monde du théâtre et porte un regard sur la manière dont on cherche à faire passer des informations. Ses œuvres d’un certain humour dérisoire, telle L’homme qui a perdu ses clefs, convoquent des situations dramatiques tout en nous incitant à réfléchir à notre présence au sein des expositions. Son installation est composée d’un film présentant un personnage liliputien qui effectue des gestes dans tous les sens et d’une vue grand écran au mur, zoom sur ses déplacements, donnant une allure tragique à la scène. L’artiste nantais s’intéresse au temps de perception des œuvres. Il interroge l’image et sa construction notamment en mettant en lumière le procédé de fabrication de manière assez pédagogique (Pierrick on the Moon, installation vidéo).
Les œuvres de Pierrick Sorin mêlant technique et trucage sont mises en relation avec celles de la compagnie de Philippe Decouflé. Les parallèles sont parfois si subtiles qu’il devient difficile de distinguer quel est l’artiste à l’origine de l’œuvre. L’eau est récurrente dans certaines. Ces correspondances sont notamment très fines dans la salle à manger Boucicaut où une installation de Pierrick Sorin dans la cheminée interroge l’illusion et le plaisir rétinien, en conflit avec l’art conceptuel. Une certaine magie émane des œuvres de cet artiste prestidigitateur. Ses théâtres optiques, qui associent objets réels et personnages en hologramme, répondent selon lui aux enjeux de reproduire la nature. Ils font référence au diorama, ses dispositifs de scènes présentant un monde miniature. Ses œuvres teintées d’ironie font écho à l’enfance tout en nous amenant à réfléchir à notre vie d’adulte et aux petits riens qui peuvent tout faire basculer. Certaines réalisées à l’occasion de commandes de grandes institutions témoignent de la capacité de l’artiste à imaginer des scènes, faisant écho à des instants où l’homme se retrouve pris dans des situations dérangeantes ou fragiles.
Dans le salon blanc, des meubles ou objets scéniques, Germaine et Rita, créés par la compagnie DCA/Philippe Decouflé et inspirés par l’art nouveau rayonnent par leur effet réfléchissant. Nous pouvons prendre part aux œuvres, comme dans un musée de la magie. Dans le Salon Persigny, l’installation Le déshabilleur offre un moment mystérieux pour les visiteurs, acteurs d’une mise à nu de corps. Ils peuvent observer le phénomène qu’ils activent tout en prenant le temps de recommencer pour faire apparaître un nouveau personnage. Nous retrouvons notre âme d’enfant au fur et à mesure de l’exposition.
Le chorégraphe prend ici une posture de commissaire d’exposition, scénographe qui renforce l’aspect féérique du château, notamment en insérant des éléments de décor, nous incitant alors à regarder dans des endroits peu habituels.
Ainsi, les deux artistes investissent le château en proposant des moments poétiques, merveilleux et quelque peu déroutants. Entre arts plastiques et art de la scène, leurs œuvres sont également proches des arts forains. Le château devient un terrain d’expérimentation, de jeux optiques et de trouble de la perception. Cette exposition implique un temps de parcours, de découverte et procure un certain plaisir à se laisser prendre au jeu. Nous pouvons être captivés par des récits, des saynètes de Pierrick Sorin et être actif en manipulant les machines de Philippe Decouflé. Leurs œuvres insolites et humoristiques, nous surprennent, nous amènent à jouer avec notre propre corps, convoquent l’absurde, l’improbable, de l’ordre du possible.