Il est des œuvres singulières qui s’écartent, certainement volontairement, des droits chemins, et il ne faut pas (je ne dois pas) ne pas les voir.
Ainsi est-il (ainsi soit-il) d’un ouvrage que Jean-Luc Amand Fournier fait paraître « à conte » d’auteur.
Un conte, oui, car son auteur, appelons le JLAF, se veut historien de sa propre aventure artistique et qu’il fait fi de tous les remue-ménages autour, tout autour de l’art contemporain. Voilà des années en effet qu’en silence (et cela me révolte) il tisse son art : des publications sous le manteau voient le jour. Je pense à ce travail sur une date, le 11 septembre, où systématiquement, presque obsessionnellement, il recensa (et encore aujourd’hui) tout ce qui est arrivé un certain 11 septembre dans l’histoire du monde, tous âges et tous pays confondus.
L’ouvrage dont il est question ici aujourd’hui a pour titre « Pignes ».
Je suis toujours attentif au titre. Ce sont des clés qui, si l’on sait s’en servir, nous ouvrent des chemins dans lesquels l’artiste nous invite à emprunter. Ainsi ici, la pigne est le cône du pin mais une pigne est aussi une expression signifiant la brutalité. Elle est également une sculpture monumentale en bronze trônant dans une cour du Musée du Vatican à Rome comme un diabolique et réaliste phallus.
Le livre est une collection de planches où sur chacune d’entre elles s’expose une image colorée de pigne de pin et son ombre en noir et blanc. Est-ce son ombre ? telle est la question et l’enjeu du travail de JLAF. En fait il s’agit d’un transfert de photographies sur papier Velin comme l’on faisait quand nous étions enfant avec de l’alcool, de l’acétone ou de trichloréthylène rehaussé d’encre de Chine. 26 planches reproduites, un pigne… et son ombre.
À les regarder de très près, je me suis dit : Courbet n’a qu’à bien se tenir : voilà aujourd’hui de nouvelles origines du monde dans sa dimension végétale. Car outre ces formes élogieuses, suggestives, ce qui frappe au premier coup d’œil (et bien d’autres fois encore), c’est la netteté du trait, l’excès de précision qui fait surgir le motif où l’on ne voit que lui. Enlevez le point G, et de la pigne il ne reste que quatre lettres qui sont le moteur même du travail. Je sais, nous savons que JLAF, en merveilleux hédoniste, est un grand collectionneur (réputé et reconnu sur le marché de l’art) d’images et de sculptures (« nègres » si le mot est encore permis). Son existence humaine est traversée par cela et on ne peut faire abstraction de cela lorsque l’on consulte, feuillette, étudie son livre.
L’ombre de ces pignes de pin recueillies, récoltées dans son jardin de Mauguio, photographiées quelques temps plus tard, n’est pas celle de la pigne elle-même mais celle, dessinée, d’une autre monde, sexe, cuisses, jambes et autres paysages corporels. On aurait pu croire (on imagine et tout pousse à le faire) que ce noir c’est l’ombre de la pigne. Et pourtant très rapidement, on constate qu’il n’en est rien, que si cette encre est ombre, elle n’est ombre que d’elle-même puisqu’elle dessine un autre monde corporel et érotique. D’où cette duplicité incroyable entre la couleur (la pigne) et le noir de l’encre de Chine. Montage, le beau souci érotique de JLAF qui fait tourner et retourner Jacques Lacan dans sa tombe puisque désormais l’origine du monde ne tient qu’à une pigne et à un jet d’encre. Dans son dernier séminaire, il écrivait : « kakémono que ça se jaspine ». Aujourd’hui, il dirait : « kakémono que ça se JLAFpigne ».